Ces derniers mois ont été marqués par de violentes attaques politiques et médiatiques contre l’université et la recherche publiques, contre celles et ceux qui la font au quotidien. Après une première sortie d’Emmanuel Macron qui accusait en juillet 2020 le monde universitaire d’avoir « encouragé l’ethnicisation de la question sociale » et de casser « la République en deux », Frédérique Vidal, Jean-Michel Blanquer et quelques autres voudraient faire croire que l’université serait gangrenée par un supposé « islamo-gauchisme » à éradiquer. En lien direct avec une offensive générale autoritaire et réactionnaire, contre les libertés et contre les populations désignées comme « musulmanes » ou « issues de l’immigration », ces propos s’inscrivent également dans une série de mesures liberticides ciblant spécifiquement l’université et la recherche. Ces violentes attaques, menées depuis les plateaux des chaînes d’information en continu jusqu’au Parlement, ne sont malheureusement qu’une manifestation d’un ensemble de politiques qui visent à détruire le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). De fait, aujourd’hui en France, la première des menaces contre les libertés académiques demeure le sous-financement structurel de la recherche et de l’enseignement supérieur, dont découle la précarisation de celles et ceux, étudiant·es et personnels, qui y produisent et mettent en circulation des savoirs.

Assécher les finances, épuiser les personnels

Depuis deux décennies, de lois en arrêtés, les gouvernements successifs semblent appliquer une même politique dont les fondements remontent au moins à la mise en place en 1998 du processus de Bologne, qui a fixé les modalités de la convergence des systèmes d’études supérieures européens. Cette politique réduit les financements de l’ESR, ferme ses portes à de nombreux·ses étudiant·es, précarise ses travailleur·ses et fragilise les libertés académiques.

La pierre angulaire de cette politique est la « loi relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU) adoptée au pas de charge le 10 août 2007, sous la conduite de Valérie Pécresse, et mise en œuvre par son conseiller spécial, Thierry Coulhon. Cette loi a préparé le terrain au saccage des universités et elle a immédiatement ouvert la porte à la destruction des conditions de travail et d’étude au sein de l’ESR, non seulement en créant de nouveaux statuts précaires, mais surtout en plaçant les universités en faillite structurelle. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la LRU, les budgets récurrents des universités demeurent figés alors que les universités accueillent plus de 300 000 étudiant·es supplémentaires.

Si ces tendances anciennes et profondes ne doivent pas être négligées, il faut relever le caractère exceptionnel de l’offensive conduite depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron et l’arrivée, à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de Frédérique Vidal. Chaque année, et malgré de fortes mobilisations, des réformes approfondissant le saccage de l’enseignement supérieur français ont été imposées aux universités et à la recherche publique.

Fermer les portes des universités : sélection et marchandisation

Première attaque de ce quinquennat, la mise en place en 2018 de Parcoursup généralise la sélection à l’entrée de l’université, jusqu’ici ouverte à toutes les personnes détentrices d’un baccalauréat ou d’un diplôme d’accès à l’université (DAU). Présentée comme un simple outil technique permettant de régler les problèmes liés au manque de places disponibles dans un certain nombre de formations, la nouvelle plateforme d’inscription est au cœur d’une transformation radicale du service public de l’enseignement. Derrière ce dispositif, il s’agit d’une part d’individualiser et de spécialiser le plus tôt possible les « parcours de formation », en lien avec la réforme du lycée ; et d’autre part, de faire de l’élève un·e « candidat à la formation ». Ainsi, ce sont désormais les établissements qui choisissent leurs étudiant·es et non l’inverse.

Cette mesure renforce les inégalités à tous les niveaux. Les lycéen·nes doivent désormais maîtriser toutes les subtilités de la mise en valeur de leurs « parcours » et de leurs « expériences » pour espérer obtenir une autorisation d’inscription dans la formation désirée — autant de savoirs et savoir-faire qui sont principalement transmis par la famille. Les lettres de motivation et les CV sont accompagnés de présentation de l’engagement citoyen et du bénévolat, des pratiques culturelles et des séjours linguistiques.

Du côté des équipes universitaires chargées du recrutement, les choses ne sont pas plus simples : comment serait-il possible de préjuger de l’étudiant·e que sera tel·le ou tel·le lycéen·ne, et quel « profil » serait plus légitime que tel autre ? Le principe même de cette sélection est irrecevable. De plus, déjà ontologiquement inégalitaire, cette sélection s’avère en pratique douloureuse pour des équipes pédagogiques et administratives en grave sous-effectif et rongées par la précarisation. Chaque dossier reçu par les formations doit en effet être noté et classé, sans qu’il y ait de possibilité de classement ex aequo. Or, quand le nombre de dossiers reçus peut dépasser le millier, avec quels moyens, quel temps, faire cette sélection, si ce n’est en recourant à un tri algorithmique ? Ici, le risque est grand que les lycéen·nes qui ont suivi leur scolarité dans des formations ou des établissements « mal cotés », le plus souvent associés à des classes populaires racisées, se voient discriminé·es par l’algorithme.

Parcoursup accroît donc les inégalités entre établissements : les lycéen·nes scolarisé·es dans les meilleurs établissements secondaires peuvent choisir d’aller dans les universités prestigieuses les mieux financées, tandis que les autres doivent se reporter sur des formations qui ne correspondent pas nécessairement à leurs intérêts et dans des universités moins bien dotées. Ainsi, on parachève un système d’enseignement inégalitaire, de la maternelle à l’université.

La mobilisation des universités contre cette mesure s’est fracassée sur deux rocs. D’abord, la mobilisation des universitaires est demeurée très faible, notamment parce que nombre d’enseignant·es ont préféré voir dans Parcoursup un remède à des conditions d’enseignement dégradées, et fermer les yeux sur les violences induites par ce dispositif. Faute de postes et de moyens suffisants pour accueillir les nouvelles cohortes d’étudiant·es, n’accueillir que les « mieux préparé·es » faisait sens aux yeux de beaucoup. Les étudiant·es se sont fortement mobilisé·es, occupant plusieurs universités, multipliant les actions locales et les journées nationales de mobilisation. Néanmoins, leur élan a été écrasé par une forte répression policière, qui est notamment passée par des interventions, inédites, des forces de police sur les campus.

Le dispositif Parcoursup a donc été mis en place et, en juillet 2020, alors que la « phase principale » de Parcoursup se terminait, 93 125 personnes se trouvaient sans « proposition » et se voyaient donc purement et simplement refuser tout accès à l’enseignement supérieur.

L’année suivante, l’accès à toutes et tous à l’université a été encore un peu plus restreint, avec une hausse vertigineuse des frais d’inscription frappant les étudiant·es n’ayant pas une nationalité européenne. Présenté le 19 novembre 2018 par Édouard Philippe, le dispositif cyniquement baptisé « Bienvenue en France » portait ainsi à 2 770 € au lieu de 170 € les frais d’inscription pour une année de licence et à 3 770 € pour une année de master ou doctorat (au lieu de respectivement 243 € et 380 €). Dangereux à plus d’un titre, « Bienvenue en France » est un instrument d’une politique xénophobe de contrôle de l’immigration, qui vise à limiter les arrivées d’étudiant·es depuis certains espaces, notamment depuis les pays africains colonisés par la France. De plus, en ouvrant la voie à une hausse généralisée des frais d’inscription, ce dispositif discriminatoire constitue également un précédent inacceptable et un pas décisif vers la destruction d’un bien public et d’un droit constitutionnel d’accès à une éducation gratuite à tous les niveaux.

Rejetée par la quasi-totalité de la communauté universitaire, cette mesure a vu se déployer contre elle le mouvement des Carrés Rouges, qui a mis en place partout en France diverses actions afin de lui faire barrage. Le 24 février 2019, la ministre Frédérique Vidal a opéré un recul stratégique, épargnant les doctorant·es pour mieux faire passer la hausse en licence et en master, mais ne réussissant pas à éteindre la mobilisation qui s’est poursuivie sur tous les fronts, dans les amphis, les rues, les conseils d’administration des universités, et jusqu’au Conseil d’État. Ce dernier a cependant rendu sa décision le 1er juillet 2020, considérant que ces frais sont modiques et entérinant donc la mise en place de ce dispositif. Aujourd’hui, la lutte se poursuit au sein de chaque université, pour que les exonérations adoptées massivement par les universités en 2019 soient maintenues, malgré les pressions du ministère et les comptes structurellement déficitaires.

Privatiser et précariser la recherche

En 2020, c’est contre une nouvelle réforme structurelle que celles et ceux qui font l’ESR se sont dressé·es : la « loi de programmation pluriannuelle de la recherche » (LPPR) devenue « loi de programmation de la recherche » (LPR). Cette loi facilite et encourage le transfert des fruits de la recherche publique vers le privé, crée de nouveaux statuts précaires pour les chercheur·ses, affaiblit les instances collégiales de régulation de la recherche et accroît plus encore le poids du financement par projet. Le financement par projet épuise les équipes, contraintes d’y consacrer une énergie considérable, pour des espoirs de financements effectifs très minces. On estime ainsi que la constitution de ces dossiers de financement nécessite en France annuellement l’équivalent du temps de travail complet de 500 chercheur·ses, quand le coût du montage des 130 000 projets soumis au programme européen de financement de la recherche est estimé à 6 milliards d’euros à l’échelle communautaire, pour un taux moyen d’acceptation de 12 %.

Le financement par projet permet également au pouvoir exécutif d’avoir la main sur les questions de recherche qui pourront obtenir des financements, et donc être traitées. Ce ne sont ainsi plus des critères de pertinences scientifiques qui guident l’évolution de la recherche, mais des questions idéologiques, comptables, électorales, publicitaires ou commerciales. Ce sont ces modalités de financement qui ont contraint des chercheur·ses étudiant les coronavirus dans les années 2000 à changer de sujet de recherche, nous faisant perdre de précieuses années.

Effet secondaire non négligeable, la mise en concurrence permanente des chercheur·ses, pour l’obtention de postes et de financements, aggrave les inégalités et les dominations inscrites notamment dans les rapports sociaux de sexe, de classe et de race. Les relations hiérarchiques, dans lesquelles les positions de pouvoir sont très majoritairement tenues par des hommes, sont souvent rendues plus violentes encore par la précarité des travailleur·ses, dépourvu·es de toute sécurité économique et sociale.

La mobilisation des Facs et Labos en Lutte, structurée notamment autour deux coordinations nationales, a culminé le 5 mars 2020 en rassemblant dans toute la France plus de 50 000 personnes. Mais cette mobilisation a, comme beaucoup d’autres, été ensevelie par le confinement, et Frédérique Vidal, ministre fantomatique, en a profité pour faire passer sa loi au forceps, en plein milieu de la crise sanitaire.

En finir avec les libertés académiques

Au fil du processus législatif, le texte s’est fait plus violent encore, visant explicitement les libertés académiques. La commission mixte paritaire du lundi 9 novembre a notamment avalisé la création d’un « délit d’entrave » passible de 1 an de prison et de 7 500 € d’amendes et, s’il est commis en réunion, de 3 ans de prison et de 45 000 € d’amendes. Ce « délit d’entrave » correspondrait au fait de « troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » : sont visées les occupations, blocages, assemblées générales non autorisées, mobilisations actives contre les violences racistes ou sexuelles perpétrées au sein d’un établissement, etc. Les universités françaises bénéficient depuis le Moyen Âge d’une franchise universitaire, qui interdit aux forces de l’ordre d’y intervenir sans l’accord de l’université concernée (sauf à de rares exceptions, clairement définies par la loi). En inventant ce « délit d’entrave », le gouvernement tentait ainsi d’en finir avec cette protection consubstantielle à l’université depuis ses origines, mais le Conseil constitutionnel a heureusement censuré cette disposition.

On peut cependant se demander combien de temps les libertés académiques seront encore protégées. D’ores et déjà, les syndicats et collectifs s’organisent pour résister aux prochains assauts. Ainsi, a notamment mis en place, en février 2021, un Observatoire des libertés académiques et du droit d’étudier (OLADE).

Non satisfaite de cette mise à sac de l’université publique, Frédérique Vidal a préféré cet hiver diffamer la communauté universitaire avec des analogies abjectes, plutôt que d’agir face à la précarité et à la détresse étudiantes. Si ces attaques s’inscrivent dans la droite ligne autoritariste et raciste des lois dites « sécurité globale » et « séparatisme », ces éléments discursifs ont aussi une fonction stratégique : détourner l’attention de problèmes aussi urgents que structurels.

Aujourd’hui, le fonctionnement de l’université et de la recherche repose sur l’exploitation de travailleur·ses précaires. Le nombre de postes diminue perpétuellement, tandis que le nombre de candidat·es s’accroît. Près de 130 000 vacataires assurent plus du tiers des enseignements à l’université, pour compenser la violente diminution du nombre de postes de maîtres et maîtresses de conférence mis au concours. De 3 000 par an à la fin des années 1990 nous sommes tombé·es à seulement 1 200 ces dernières années, alors même que le nombre d’étudiant·es accueilli·es par les universités a augmenté de plus de 20 %. Aux vacations payé·es sous le SMIC horaire s’ajoute le travail gratuit que doivent effectuer les jeunes chercheur·ses sans postes pour « rester dans la course » : publier des articles, organiser des colloques et conférences, gérer des revues, etc.

Du côté des étudiant·es, la situation n’est pas meilleure. La crise sanitaire a brutalement mis en évidence un problème trop ancien : les dramatiques conditions de vie d’un nombre croissant d’entre elles et eux. La précarité et la pauvreté les frappent massivement, structurellement, les conduisant souvent à renoncer à leurs études, faute de mise en place d’un véritable revenu étudiant.

Quand les conditions de travail et d’étude sont aussi dégradé·es, que peut-il rester des libertés académiques ? Quand les étudiant·es renoncent aux études et quand les chercheur·ses et enseignant·es non-titulaires sont constamment évalué·es, risquant à chaque instant de perdre leur place, les mesures de police sont superflues, l’ordre néolibéral et autoritaire règne.

Ouvrons l’université

Nous sommes aujourd’hui devant un choix de société. Il s’agit de défendre une conception de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui doit être un espace ouvert à tou·tes. Cette ouverture n’est pas accessoire : elle est essentielle à la production du savoir scientifique. Au contraire, l’université fermée que veulent imposer les gouvernements qui se succèdent depuis 2007 et la LRU est une université instrumentalisée à des fins économiques et politiques. C’est une université qui ne remplit plus sa fonction sociale de création et de transmission d’un savoir autonome, critique et émancipateur, mais qui, au contraire, entend produire des travailleur·ses dociles et endetté·es tout en légitimant l’ordre social, à grand renfort de discours méritocratiques.

De nombreuses luttes, locales et nationales, ont été menées ou sont en cours. Des victoires ont été remportées. Mais, depuis 10 ans, nous n’avons pas su, collectivement, défendre l’université et ses rôles politiques et sociaux fondamentaux. Beaucoup ont renoncé. Il est temps de contre-attaquer et d’ouvrir l’université pour qu’elle remplisse pleinement son rôle. L’université sera ouverte ou ne sera pas.

Une version synthétique de cet article a été publiée dans la revue de la LDH.

Illustration en Une : photographie d’Université Ouverte prise lors du rassemblement du 26 janvier 2020 à Paris.

Un commentaire sur « Surveiller et détruire : la politique universitaire d’Emmanuel Macron »

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