Communiqué du 23 avril 2020 du comité de mobilisation des Facs et Labos en Lutte.

Encore une fois, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, prend des positions inacceptables, sans concertation et sans considérer les réalités auxquelles font face étudiant·es et travailleur·ses de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette fois, les déclarations de la ministre portent sur les examens de fin de semestre, qu’elle souhaite maintenir coûte que coûte en faisant fi des inégalités entre étudiant·es, notamment face au numérique, qui sont exacerbées en cette période de confinement.

Enseignant·es, nous voyons autour de nous les souffrances des étudiant·es s’accumuler et s’aggraver de jour en jour. Beaucoup ont perdu leur travail et ne peuvent plus subvenir à leurs besoins, d’autres ont été obligé·es de passer d’un temps partiel à un temps complet, auquel s’ajoutent des heures supplémentaires contraintes, notamment dans la grande distribution ou les services à la personne, souvent assurés par les étudiant·es les plus précaires. Aux logements trop petits et insalubres s’ajoutent les difficultés à bien s’alimenter. De la solitude forcée à la promiscuité dans des atmosphères tendues, il est difficile de trouver la sérénité et la concentration nécessaires aux études. Les nombreux·ses étudiant·es sans papiers se trouvent cloîtré·es, empêché·es de sortir face à l’augmentation des contrôles d’identité. Et dans les quartiers populaires, l’actualité met clairement en évidence les tensions de la période. À cela s’ajoutent les incertitudes pour les étudiant·es en apprentissage ou en stage, auprès d’employeurs pas toujours bienveillants, pour qui la poursuite des études est souvent illisible aujourd’hui, faute de consignes claires du ministère (voir par exemple ici).  

Comment, dans ces circonstances où nos vies à tou·tes sont douloureusement affectées, Frédérique Vidal peut-elle parader dans une interview au journal 20 Minutes en proclamant que « les diplômes ne seront pas bradés cette année » ? Au-delà de la bêtise de la formule, il faut souligner combien cela témoigne d’un profond aveuglement face à ce que nous vivons tou·tes à l’université depuis le début de cette crise sanitaire. Refuser d’apporter un minimum de sécurité et de tranquillité d’esprit aux étudiant·es en annonçant des modalités de validation du second semestre garanties pour tou·tes relève de la cruauté. 

D’autant plus que pour nous aussi, enseigner en prenant en charge nos enfants, nos parents, dans des conditions qui sont souvent largement précaires n’est pas une option. Faut-il rappeler que la même ministre proposait tout simplement de ne pas rémunérer les vacations effectuées par les enseignant·es précaires au second semestre ?

La ministre nous en informe : « une nouvelle relation s’est créée entre les étudiants et leurs enseignants pendant ce confinement via l’enseignement à distance, avec un accompagnement renforcé et beaucoup plus d’interactions. » Est-ce une blague? Qui peut croire que la pédagogie et la formation peuvent se contenter d’une relation numérique ? 

La continuité pédagogique n’a de continuité que le nom. Dire que les cours à distance fonctionnent est un mensonge. Toutes les enquêtes réalisées auprès des étudiant·es (voir par exemple celle du sociologue Pierre Mercklé) montrent que la « fracture numérique » est plus importante qu’on ne le pensait et que les dons de matériel d’une part sont arrivés trop tard, d’autres part ne résolvent en rien les difficultés auxquelles font face les étudiant·es.

Cette injonction à la performance sous confinement est abjecte. Celles et ceux qui veulent maintenir les examens mettent en avant les efforts fournis pas les différent·es acteur·rices de l’ESR. Ces efforts sont réels, la majorité des étudiant·es, du personnel administratif et des enseignant·es ont cherché à maintenir un lien, continuer à échanger et permettre des enseignements. Mais nous savons qu’il reste des milliers d’étudiant·es laissé·es sur le bas côté, et qu’il en restera toujours, compte tenu des problématiques exceptionnelles auxquelles nous devons faire face. Il est de notre responsabilité de ne pas accabler davantage les personnes déjà terriblement affligées par le confinement. À moins que Frédérique Vidal considère qu’un·e étudiant·e confiné·e depuis plus d’un mois dans un studio de 9m², se trouvant dans l’incapacité de suivre ses cours, ne disposant pas d’espace de travail, ayant tout juste du minimum vital (quand ielle parvient à payer son loyer), n’a que ce qu’ielle mérite ? Voilà des décennies que les politiques d’austérité vis-à-vis de l’ESR dévalorisent les formations des étudiant·es, et ce serait lors d’une crise sociale sans précédent, qu’il faudrait « valoriser » nos diplômes ?

La ministre vante la liberté pédagogique mais menace clairement d’annulation les examens neutralisés. L’autonomie, c’est uniquement quand ça l’arrange. Il est illusoire et injuste de vouloir tenir les examens comme si de rien n’était. L’argument brandi de la qualité des diplômes ne tient pas face à l’impératif d’égalité de traitement des candidat·es. Il ne tient pas non plus d’un point de vue logique : quel·le responsable de formation, quel·le employeur·se ira rationnellement remettre en doute toute la qualité d’un parcours universitaire parce que le second semestre de la licence 2 ou du M1 aura été validé automatiquement pendant la période exceptionnelle du confinement ?

À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Pour tenir compte des situations différenciées et inégalitaires des candidat·es, nous préconisons un système de validation automatique du semestre. Les étudiant·es qui ne penseraient pas avoir acquis les connaissances et compétences pour passer dans l’année supérieure doivent avoir le droit de se réinscrire dans l’année en cours. Le premier semestre de l’année 2020-2021 sera également perturbé et nous devrons collectivement mettre en place des dispositifs de soutien et de rattrapage adéquats.

Cet aveuglement montre bien que ce n’est pas la qualité des diplômes qui inquiète Frédérique Vidal, c’est l’image de son ministère qui n’est pas à la hauteur des événements. Pour garantir la qualité des formations et des diplômes sur le moyen et long terme, c’est un plan massif d’investissement dans les universités dont le pays a besoin. Le crise actuelle sanitaire, et avant elle politique et sociale, nous démontre une fois de plus l’absolu besoin d’une recherche et d’un enseignement supérieur publics, gratuits et de qualité. La hausse du budget annoncée il y a quelques semaines par le gouvernement (cinq milliards d’euros sur dix ans), ramenée au budget du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), représente 2% d’augmentation par an, pas plus que les années précédentes. Pire encore : le principal moyen envisagé pour la distribution de ces crédits est le renforcement de la recherche sur projets, dont l’Agence nationale de la recherche (ANR) est le fer de lance. Pour dispenser des enseignements, et donc des diplômes, de qualité, nous avons besoin de postes permanents d’enseignant·es et de chercheur·ses et des fonds pérennes pour les départements d’enseignement et les laboratoires de recherche.

Pour le moment, la ministre fait de belles annonces (cf. son interview dans la matinale de France Culture aujourd’hui même), comme le prolongement des contrats doctoraux et postdoctoraux, mais rien de concret sur le financement de ces mesures n’est annoncé. Mais ce n’est pas avec une poignée de sable et une bouteille d’eau que l’on va éteindre l’incendie qui ravage l’université et la recherche depuis des années, avec les conséquences que l’on sait pour la préparation face au virus du COVID-19. Cette crise rend tangible pour tou·tes l’importance de nos services publics, mais aussi la violence des inégalités qui fracturent notre société. Nous n’admettrons pas que l’exploitation des travailleur·ses précaires dans nos facs et labos perdurent après la rentrée 2020, nous ne tolérerons pas que nos étudiant·es vivent encore dans des situations de grande précarité ou de pauvreté. Il nous faut de vrais moyens, pérennes, pour assurer nos missions d’enseignement et de recherche. Il nous faut des postes, et il nous en faut beaucoup.

Nous vous rappelons nos 12 points pour des revendications d’urgence en période de confinement.

Nous, étudiant·es, enseignant·es et/ou chercheur·es, ingénieur·es, membres des personnels administratifs, techniques, sociaux, de santé et des bibliothèques (BIAT.O.SS, IT.A), précaires ou titulaires, nous sommes massivement mobilisé·es au cours des derniers mois, pour défendre l’université et la recherche publiques. Notre détermination ne faiblit pas : nous sommes et nous seront toujours en lutte, tant que nous n’aurons pas obtenus les moyens humains et économiques de faire fonctionner nos services publics. 

Le comité de mobilisation de la coordination nationale des Facs et Labos en Lutte

3 commentaires sur « Le bateau coule mais pas de panique : la ministre organise les examens sur le pont ! »

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