2025, le monde a été transformé par une pandémie mondiale, dont la gestion sociale et politique désastreuse a bouleversé la société. La nouvelle fiction des Facs et Labos en Lutte explore un futur possible de l’enseignement supérieur et de la recherche.
L’épisode 3 raconte les bouleversements intimes provoqués par le confinement, la flambée des inégalités et la violence d’une surveillance qui s’infiltre toujours plus profondément.

cinquantième Jour – Continuité pédagogique, surveiller et punir

C’est le cinquantième jour de confinement.
C-I-N-Q-U-A-N-T-E J-O-U-R-S. 

Amaya se dit encore une fois : « j’aime mes enfants, mais vraiment, j’en peux plus, j’ai plus envie de les voir, ne serait-ce que quelques jours » . Enfermée, H24 depuis 50 jours avec eux, c’est hardcore. Bizarrement (ou pas) le « Guide du parent confiné » (ou la start-up nation à la maison) ne l’a pas aidée à être plus sereine. Cette vidéo virale sur une mère qui se filme en mode Blair Witch Project et affirme « avoir créé un monstre » la console beaucoup plus. Elle ne pensait pas que son travail lui manquerait autant. En fait, ce n’est pas vraiment le travail qui lui manque, puisque du boulot elle en a, et plein. Par exemple, elle met quatre heures à monter les vidéos pour un de ses cours. Le ratio légal de 4h de préparation pour 1h de cours a clairement explosé. Cécile Boulaire résume bien la galère et les bidouillages que ça représente quand on n’a pas les outils, ou la formation, pour mettre en œuvre ces dispositifs de « continuité pédagogique » . En fait, ce qui lui manque vraiment, ce sont les étudiant·es, ses collègues, la cantine, les potins, même le trajet en transport en commun pendant lequel elle pouvait répondre à ses mails et lire la presse tranquillement. Et puis les manifs bien sûr, les vraies. Elle en a fait quelques-unes à son balcon, jusqu’à ce que la police viennent l’interroger chez elle sur la signification des revendications sur ses banderoles !

Alors que certain·es dissertent à longueur de tweets sur leur ennui et que d’autres s’enorgueillissent d’avoir révolutionné la « pédagogie en ligne » et les humanités numériques à base de MOOC, de PPT sur Moodle et de Quizz sur Kahoot, Amaya a le temps de se doucher un jour sur trois, entre la « continuité pédagogique » à dispenser à ses enfants (contre laquelle ils s’insurgent en se roulant par terre) et celle à dispenser à ses étudiant·es. Sans compter le remplissage des attestations pour aller faire des courses et les cours de « cardio/yoga/gainage » que le ministère a rendu obligatoires pour s’assurer que ses enseignant·es se maintenaient en forme. Ses étudiant·es et ses collègues aussi lui disent qu’iels n’ont jamais autant travaillé. Elle repense à ce montage qui décrit bien cette situation.

Image issue du Blog de Lancetre

En ce moment de confinement, les hommes publient deux fois plus que les femmes. C’est sûr que quand on a trois ou quatre heures de travail (les grands jours) c’est plus long de publier un article, corriger des copies, relire des mémoires, étudier des dossiers de candidatures, etc. Sans compter les réunions sur Zoom avec les collègues de département et les camarades de mobilisation. 

Hier, elle a reçu un mail d’hameçonnage assez flippant sur sa boîte pro. Son compagnon en a reçu un autre alors qu’il faisait tranquillement ses courses sur un Drive. Elle se dit encore une fois qu’il faut qu’elle arrête Zoom – il y a des pays qui l’ont carrément interdit – et qu’elle passe sur un logiciel libre. Elle a une petite pensée pour ses collègues qui font cours sur Zoom, Skype et YouTube et elle se rappelle de ce vacataire qui racontait que quelqu’un avait volé tout le contenu de son cours (mis en ligne sur l’ENT et dont l’école devient propriétaire) et avait publié un livre avec. Il n’avait pas porté plainte parce « ça coûtait trop cher » . Puis Amaya pense aux étudiant·es qui ne mangent même plus à leur faim avec la fermeture des CROUS. Partout en France des associations, des collectifs et des syndicats se sont mobilisé·es pour distribuer des colis alimentaires aux plus démuni·es des étudiant·es qui sont frappé·es de plein fouet par cette crise sanitaire et sociale. Ces mêmes collectifs avaient pourtant alerté sans recevoir de réponses du Ministère depuis le mois de novembre. Est-ce qu’on en serait là aujourd’hui, si un salaire étudiant existait comme dans d’autres pays européens

Frédérique Vidal s’est enfin adressée à la communauté universitaire dans un très court entretien dans un journal en ligne puis dans une matinale à la radio. Elle prend de drôles de positions, sans concertation et sans considérer les réalités auxquelles font face étudiant·es et travailleur·ses de l’ESR, en encourageant l’obsession évaluative, en faisant fi des inégalités entre étudiant·es, notamment face au numérique, qui sont exacerbées en cette période de confinement. Le pire c’est que beaucoup de collègues d’Amaya pensent la même chose et se drapent dans la valeur du diplôme pour ne rien changer à leur pratique d’évaluation. Certains collègues (bizarrement des hommes sans enfants à charge) insistent pour maintenir des soutenances de mémoire en visioconférence alors même que nous n’avons plus de nouvelles de certain·es étudiant·es, et que nous savons que d’autres demandent des colis alimentaires. Sans compter que pour Amaya organiser une vingtaine de soutenances d’une demi-heure chacune avec une connexion qui coupe toutes les 15 minutes avec en bruit de fond ses enfants qui crient, sautent et pleurent dans toute la maison n’est juste pas envisageable.

La « continuité pédagogique » prend des proportions qu’on pourrait qualifier de rocambolesques ou de romanesques si elles n’étaient pas proprement scandaleuses. À Paris 1, le conflit qui oppose le président de l’université à la CFVU (commission de la formation et de la vie universitaire), qui a opté pour des mesures favorables aux étudiant·es en pleine crise sanitaire, continue de défrayer la chronique. La principale préoccupation de Frédérique Vidal est donc de ne pas « brader » les diplômes cette année. Elle menace à demi-mot les universités qui seraient tentées de neutraliser ou de mettre systématique des notes supérieures à 10/20, en annonçant que le « ministère jouerait son rôle de régulateur et ne validerait pas les épreuves évaluées de cette manière » . L’autonomie des universités c’est vraiment quand ça les arrange ! Alors qu’on lui demande si elle craint un abandon des L1, le public le plus fragile de l’université, la ministre botte en touche et affirme « qu’une nouvelle relation s’est créée entre les étudiants et leurs enseignants pendant ce confinement via l’enseignement à distance, avec un accompagnement renforcé et beaucoup plus d’interactions » . 

Si on résume, tout s’est passé pour le mieux, on a même fait mieux à distance que dans nos salles parfois vétustes et nos amphis bondés. Pour beaucoup les examens en ligne ont commencé malgré toutes les mises en garde des étudiant·es, des professeur·es et des syndicats. La question de la sécurité numérique se pose. La fameuse fiche n°6 « Évaluer et surveiller à distance » indique une liste de fournisseurs de services qui permettent de mettre en place une télésurveillance des examens. Ces fournisseurs de service n’ont rien à envier à la CIA ni aux meilleurs scénarios de science fiction : reconnaissance faciale, détection de bruits suspects dans la pièce, et même analyse comportementale pour détecter la triche. L’autre jour, un perturbateur professionnel s’est pointé dans des cours en ligne. Il avait demandé des codes pour rejoindre des cours et faire le mariole. Il a fait ça dans beaucoup de cours, du coup, ça a donné des idées à des étudiant·es qui ont interrompu des réunions Zoom de départements pour porter leur revendications… Le gouvernement a répondu par la répression et le contrôle, as usual me direz-vous quand on voit qu’il préfère financer des drones qui disent aux gens de rentrer chez elleux plutôt que de financer des tests et des masques. 
Maintenant, pour pouvoir suivre des cours en ligne il faut : remplir une attestation en précisant ses numéros d’étudiant·es et de carte d’identité ou de carte de séjour, présenter ses empreintes digitales, ses horaires de cours et le nom du prof. Pendant les cours, si les étudiant·es vont sur Facebook, Twitter ou SnapChat plus de 5 min, iels reçoivent d’abord un premier mail d’avertissement signé par Vidal, puis ensuite ça passe à Lallement. Au bout de la troisième fois, iels sont privé·es de sortie jogging pour une semaine.

Illustration de Fred Sochard

Le message d’Emmanuel Macron, prononcé lors de son discours le lundi 13 avril, résonne dans la tête d’Amaya et devient alors de plus en plus effrayant : « Très souvent, ce qui semblait impossible depuis des années, nous avons su le faire en quelques jours. Nous avons innové, osé, agi au plus près du terrain, beaucoup de solutions ont été trouvées. Nous devrons nous en souvenir, car ce sont autant de forces pour le futur » .
À quoi doit-on s’attendre maintenant dans l’enseignement supérieur et la recherche ?

Illustration en une : « surveillance camera » par Corey Burger (2004) CC BY-SA 2.0

Un commentaire sur « Chroniques d’une apocalypse universitaire annoncée – épisode 3 »

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