On ne redira jamais assez qu’il faut lire avec la plus grande attention le moindre des documents émanant du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). L’épisode de la “FAQ administratives” mise en ligne le 30 mars, puis actualisée le 1er avril, nous l’a violemment rappelé : ce n’est ni par une conférence de presse, ni même par un communiqué de presse, mais au détour d’une innocente “foire aux questions” de la direction générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle (DGESIP) que le ministère a choisi de rendre publique sa décision de ne pas rémunérer les heures d’enseignement des vacataires qui étaient prévues dans les emplois du temps, mais qui n’ont pas pu être assurées du fait de la fermeture des universités face à l’épidémie de COVID-19. Pour compenser ces pertes de revenus, le MESRI ouvre la possibilité de rémunérer de “nouvelles tâches”, pour certain·es seulement. Explications.

Article réalisé avec Academia.

Le choix : ne pas payer les heures non-effectuées du fait de l’épidémie

Ce choix est abject, tant sur la forme que sur le fond.

Il est abject sur la forme car personne, au ministère, n’a été capable de rappeler à la directrice générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle et au directeur général des Ressources humaines qu’on ne règle pas le sort de 120 000 personnes en pleine épidémie par une simple “foire aux questions”.

Il est abject sur le fond car le choix qui a été fait consiste bien à ne pas rémunérer les vacataires de l’enseignement supérieur des heures d’enseignements qui ont été annulées en raison de la fermeture des établissements. Et ce choix vaut pour tous les vacataires, quel que soit leur statut : à la fois pour les “attaché·es temporaires vacataires” (ATV, au sens de l’art. 3 du décret du 29 octobre 1987 relatif aux conditions de recrutement et d’emploi de vacataires pour l’enseignement supérieur) et pour les “chargé·es d’enseignement vacataires” (CEV, au sens de l’art. 2 du décret du 29 octobre 1987) soit, respectivement, 20000 et 100000 personnes.

C’est une des douloureuses vertus de l’épidémie du COVID-19, d’ailleurs : elle jette une lumière plus crue que jamais sur l’indignité de la condition dans laquelle on laisse les vacataires, sans lesquels, pourtant, le service public de l’enseignement supérieur ne serait pas assuré. Leur situation est désastreuse sur le plan du droit social car elle n’offre presque aucune protection : ielles n’ont pas de contrat de travail mensualisé et leur rémunération (en-dessous du SMIC horaire) s’effectue plusieurs mois après la fin du service. C’est très précisément la raison pour laquelle le ministère se sent autorisé à considérer que le paiement des heures d’enseignement annulées du fait de l’épidémie n’est pas un droit auquel ils peuvent prétendre.

Nous sommes bien loin de la promesse présidentielle de ne laisser personne subir de “pertes de revenus liées au COVID-19”. 

Si “l’État [nous] protège”, le MESRI n’a pas jugé utile d’étendre cette “protection” aux vacataires de l’enseignement supérieur.

L’abjection de l’aumône

Dès lors que le MESRI considère que la rémunération des heures non-réalisées du fait de l’épidémie n’est pas un principe absolu, il se sent libre d’accorder quelques “faveurs” et distribue ses “aumônes” avec une cruauté intolérable. Le ministère “demande” ainsi aux universités de veiller à ce que la perte financière de certain·es vacataires, les “attaché·es temporaires vacataires” (ATV) soit compensée, afin qu’ils puissent “percevoir une rémunération d’un niveau similaire à ce qu’il aurait été en temps normal”. Il propose, pour cela, que des tâches nouvelles leur soient confiées, “liées à la construction d’une offre pédagogique dématérialisée” (p. 4).

Nous condamnons cette “aumône” à plusieurs titres :

  • Premièrement, le MESRI suppose que ce sont des tâches nouvelles qui seront rémunérées, en contradiction flagrante avec le principe rabâché de la “continuité pédagogique”, qui veut que les heures d’enseignement prévues doivent être réalisées sans modification si ce n’est leur dématérialisation. Il faut le dire et le répéter : ce n’est pas que les vacataires n’ont pas réalisé leurs heures, c’est qu’ils ont basculé en télétravail, comme tous les autres travailleur·ses des universités, dans des conditions souvent très difficiles et bien souvent avec leur propre matériel informatique. Dire qu’il s’agit de tâches nouvelles plutôt que du télétravail de tâches prévues, c’est introduire une différence gigantesque, qu’il faut dénoncer : s’il s’agit de tâches nouvelles, chaque établissement se retrouve libre de fixer la nature et l’ampleur des tâches qu’il estime nécessaire pour qu’effectivement “une rémunération d’un niveau similaire à ce qu’il aurait été en temps normal” soit perçue, ce qui revient, on l’aura compris, à donner un pouvoir considérable à chaque établissement sur les vacataires. On doit au contraire considérer que ce sont les enseignements prévus qui ont basculé en télétravail, et cette bascule doit se faire en prenant en compte l’extrême difficulté dans laquelle elle se réalise, et l’impossibilité d’élaborer la moindre équivalence du type “X heures d’enseignements prévues = X heures de vidéos ou X pages écrites”.
    Les vacataires ne doivent pas être moins bien traité·es que les titulaires et les contractuel·les, alors même qu’elles et ils vivent des conditions de confinement souvent plus difficiles : chacun·e fait ce qu’il peut et ce qu’il se sent de faire, selon ses possibilités personnelles et familiales, son environnement de travail et son état psychologique, comme Academia l’a déjà écrit.
  • Deuxièmement, le MESRI se concentre sur les seuls “attaché·es temporaires vacataires” (ATV), considérant qu’il s’agit des “doctorant·es chargé·es d’enseignement avec des interventions programmées et assez récurrentes”, à la différence des “chargé·es d’enseignement vacataires” (CEV), qui “n’interviennent que pour quelques heures d’enseignement dans des domaines spécifiques, et doivent justifier d’une activité professionnelle par ailleurs”. Or, comme Academia l’a déjà expliqué, cette distinction ne tient pas. Il y a, parmi les 100000 CEV quelques professionnel·les correctement rémunéré·es par ailleurs, mais aussi de très nombreuses personnes qui ont absolument besoin de ces vacations pour vivre.
    Il est bien trop tard pour faire cette distinction dans la crise sanitaire actuelle, après deux semaines d’injonctions à assurer la “continuité pédagogique” à tout prix, que les “chargé·es d’enseignement vacataires” ont subi exactement dans les mêmes termes que les “attachés temporaires vacataires”, et auxquelles la plupart d’entre elles et eux ont donné suite, n’étant pas en situation de s’y opposer.

La position du ministère est donc intolérable sur le principe, mais elle est aussi absurde dans son application : évidemment, il va bien falloir rémunérer les heures qui auront été réalisées par les CEV en télétravail, car aucun juge ne laissera passer une absence de rémunération. De plus les universités ne peuvent pas se permettre que ces mêmes CEV s’arrêtent à présent, alors que les ATV continuent.

Le ministère le sait bien et, après avoir soutenu qu’il est impératif de distinguer la situation des ATV et celle des CEV, la “ foire aux questions” prévoit que les CEV qui auront déjà fait des heures seront payé·es et que, pour celles et ceux qui souhaiteraient poursuivre leur activité, “il convient de faire en sorte que leur savoir-faire et leur expérience soient mis à profit dans le cadre des plans de continuité pédagogique” (p. 6). Bref, il va bien falloir traiter de la même manière ATV et CEV, si ce n’est qu’aucun paiement par acompte n’est possible pour les CEV à en croire le tableau de synthèse de la “foire aux questions”.

On notera, pour finir, que la “foire aux questions” a été modifiée en catastrophe le 1er avril au soir. On peut déceler deux évolutions importantes :

  • D’abord, le discours général a quelque peu changé : plutôt que de considérer, contre toute évidence, que les heures prévues n’ont pas été réalisées, on parle désormais d’une “adaptation des conditions de réalisation du service”.
  • Ensuite, la position sur les acomptes s’est assouplie. Dans la version du 30 mars du tableau de synthèse, il était prévu qu’aucun acompte ne serait versé aux CEV. S’agissant des ATV, la réponse était : “par défaut, non, mais possible au cas par cas sous réserve d’une mobilisation effective”. Désormais, il est prévu, pour les CEV comme pour les ATV, que l’acompte est “possible, sous réserve d’une mobilisation effective”.

Une fois de plus, le traitement des vacataires est scandaleux. On espère que les universités seront pragmatiques, ne distingueront pas les “attaché·es temporaires vacataires” des “chargé·es d’enseignement vacataires” et les traiteront comme les titulaires et contractuel·les. La plus grande vigilance s’impose : maintenons collectivement une forte pression tant sur le ministère que sur les présidences. 

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Crédit illustration : photographie prise par Gilles Martinet lors de l’action du collectif des précaires de l’ESR d’Ile-De-France à l’Hôtel de ville de Paris le 11 février 2020.