Il y a ce qui est derrière nous, les luttes que nous avons perdues, les lois destructrices de l’université qui ont été votées. Au premier chef, la loi LRU de 2007 : celle-ci (entre autres choses) accroît les pouvoirs des président·es d’université en leur donnant la possibilité de recruter des contractuel·les de catégorie A. Ainsi que le soulignait avec enthousiasme un rapport de l’inspection générale datant de 2016, le cadre juridique associé à ces nouvelles formes de recrutement « a été volontairement très peu défini par le législateur. (…) C’est donc un mode de recrutement offrant une liberté et un degré d’initiative incomparable » (IGAENR, Jean Déroche, Amine Amar, Christian Bigaut, Anne Giami, État des lieux des contractuels recrutés en application de l’article L. 954-3 du code de l’éducation. Rapport à Madame la ministre de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, juin 2016).
Il y a ce qui est en cours et que cette loi a rendu possible. Nous n’en connaissons que trop bien les effets, et nous nous y heurtons chaque jour : Prag, ATER, doctorant·es contractuel·les, vacataires du secondaire assurent aujourd’hui plus de 40% des heures d’enseignement dans le supérieur – et jusqu’à 70% dans certaines licences. Cette précarité est écrasante : elle maltraite les personnels et abîme nos métiers. Elle est indécente : les vacataires sont payé·es sous le SMIC horaire. C’est en vain que, confronté·es à des besoins d’enseignement croissants en raison de l’augmentation des effectifs, nous réclamons a minima le maintien de nos postes. Au contraire, les universités désormais « autonomes » et obsédées par le coût de la « masse salariale », ne remplacent que rarement les départs à la retraite ou les mutations. Les postes de maitre·sses de conférences (MCF) et de professeur·es des universités (PR) disparaissent. Tout cela nous le savons.
Il y a ce qui est devant nous. La loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (auparavant dite LPPR). Nous nous sommes battu·es contre ce projet cet hiver, nous continuerons. Mais quoi qu’il en advienne, dans le cadre législatif déjà existant les effets de la LRU s’accélèrent. Certains signes dessinent par petites touches l’avenir qu’on nous promet. Les postes d’ATen sont de ceux-là.
ATEn signifie Attaché temporaire d’enseignement. Chose étrange, on ne trouve pas de référence précise à ce statut dans la nomenclature du ministère ; pourtant des universités ont déjà commencé à y recourir. ATEn, ça ressemble à ATER, mais sans la recherche. Des Prag, donc ? En quelque sorte, mais beaucoup moins bien payé·es.
Un poste d’ATEn est un poste consistant en un temps plein de 384 heures – le double d’un service de MCF ou de PR, ce qui se justifie par l’argument qu’il n’y a pas de recherche attachée au poste. Les ATEn ne sont pas des enseignant·ses-chercheur·ses, ce sont uniquement des fournisseur·ses de cours. Pour cette énorme charge d’enseignement, les titulaires d’un doctorat seront payé·es 1900 euros net par mois, les (doctorant·es) titulaires d’un master, 1600 euros.
Auparavant, ces charges de cours temporaires, flexibles et donc fort utiles aux divers départements universitaires, étaient assurées par des ATER (Attaché·es temporaires d’enseignement et de recherche), dont le service consistait pour moitié en cours (192h) et pour moitié en recherche, pour un salaire de 1700 euros. En somme, les ATEn font deux fois plus de cours que les ATER, pour un salaire à peu près équivalent. Petit exemple : l’année dernière au département de LEA de Rouen près de 1000 heures ont été assurées par deux personnes embauchées sur 1 contrat et demi d’ATEn. Au milieu de l’année l’une d’elles a dû abandonner des cours en raison de la surcharge du travail. Il est donc fort à parier que les services de ressources humaines vont adorer et refuser désormais d’accorder des ATER pour ne proposer que des ATEn. C’est déjà le cas dans certaines universités, notamment à Rouen.
Le problème est en outre qu’évidemment on recrute en réalité sur ces postes de jeunes docteur·es ou doctorant·es – ceux et celles qui auparavant bénéficiaient de postes d’ATER (plutôt des demi-ATER, d’ailleurs) pour finir leurs thèses ou attendre un hypothétique recrutement comme MCF. Avec une charge de cours de 384 heures ces doctorant·es ne pourront pas finir leur thèse, ces docteur·es ne pourront plus poursuivre leur recherche et compléter leur dossier de candidature. Pour les premièr·es, on leur répondra que de toutes façons la règle est désormais celle des thèses en trois ans, financées par un contrat doctoral. Pour les second·es, qui languiront d’autant plus longtemps dans l’antichambre des postes de MCF (ou de ce que leur substituera la nouvelle loi en cours de discussion) que ceux-ci seront toujours moins nombreux…il faut supposer que les DRH se réjouiront d’avoir des gens formés à la recherche, quoique n’en faisant plus faute de temps. C’est un nouveau recul de l’articulation entre enseignement et recherche – articulation qui était fondamentale dans la définition de l’enseignement universitaire à la française.
Accepter ce genre de poste, c’est mettre le doigt dans un engrenage et être complices d’une nouvelle dégradation des conditions de travail dans l’enseignement supérieur. À long terme, nous pourrions nous targuer, si nous tombions dans ce piège, d’avoir participé à l’édification de collèges universitaires.
Il nous faut refuser collectivement ces postes, mêmes quand nos départements connaissent un manque cruel d’enseignant·es. On ne peut pas « faire tourner la boutique » à n’importe quel prix ! L’avenir n’est pas encore écrit.
Texte rédigé par l’assemblée générale du département d’histoire de l’université de Rouen-Normandie.
Illustration : photographie prise lors de la manifestation parisienne du 5 mars.