Mme Sylvie Retailleau, Ministre l’Enseignement supérieur et de la recherche, a visité le lundi 18 juillet 2022 notre unité mixte de recherche, le Centre de Biologie pour la Gestion des Populations (CBGP), à Montferrier-sur-Lez (34).

En tant que groupe de non-permanent·es de l’unité, nous avons saisi l’occasion pour faire passer certains messages sur les menaces qui pèsent sur la recherche publique en France [lire la lettre ouverte ci-dessous]. Nous voulions alerter en particulier sur la précarisation croissante de nos métiers et l’application d’une doctrine productiviste et mercantile qui est inadaptée à l’activité même de recherche et entretiennent un malaise croissant. Dans ce modèle d’ultra-libéralisme forcené où la compétitivité devient le maître mot, nous sommes beaucoup à ne plus nous y retrouver. Ayant choisi la recherche par passion et conviction, nous nous sentons désemparé·es par le manque de considération d’un gouvernement qui ne semble pas comprendre les enjeux et perspectives de la recherche académique. Nous sommes particulièrement préoccupé·es par la diminution du nombre de postes permanents en France qui nous contraint à partir à l’étranger, ainsi que l’augmentation de la durée nécessaire à l’obtention d’un poste stable. Tout cela nous fait craindre de devoir faire face à un choix difficile entre la poursuite d’une carrière académique et notre vie de famille / vie personnelle.

C’est pourquoi nous avons décidé de mener une action de protestation collective. Nous nous sommes rassemblé·es ce lundi matin devant l’entrée de notre laboratoire de recherche, munis de banderoles et de blouses blanches portant des messages illustrant nos préoccupations et nos craintes. Nous avons également rédigé une lettre à destination de Mme la Ministre, que nous avons pu lui remettre à son arrivée [reproduite ci-dessous].

Il nous a ensuite été proposé de nous entretenir avec Mme Anne-Isabelle Etienvre, conseillère recherche de Mme Sylvie Retailleau, puis avec cette dernière. Les deux entretiens ont duré respectivement 45min et 10min. Au cours de ces échanges, nous avons pu exposer notre point de vue sur l’état actuel et futur de la recherche publique, notamment sur les problématiques du précariat, du manque croissant de postes stables, de la compétition entre chercheur·euses, du financement sur projets et des abus du Crédit Impôt Recherche.

En réponse, Mme la ministre Retailleau se donne comme priorité de remplacer la précarité des post docs d’un an ou deux par une précarité plus longue sur 6 ans, avec un faux statut de CDI. On nous a également vanté à maintes reprises la Recherche et Développement dans le privé, un débouché fabuleux… Un vrai dialogue de sourds. L’augmentation du nombre de postes permanents dans le public n’est malheureusement pas prévu au programme.


Lettre ouverte sur la recherche publique en France

Madame la Ministre,

En tant qu’acteurs et actrices de la recherche, nous souhaitons nous saisir de l’opportunité de votre visite dans notre unité mixte de recherche pour vous alerter sur les menaces qui pèsent actuellement sur la recherche publique en France. A l’heure où les défis scientifiques auxquels notre société est confrontée n’ont jamais été aussi grands, il nous apparait comme urgent de promouvoir une recherche forte et intègre, qui s’inscrive dans la durée, financée par et pour les acteur·ices de la société civile. C’est la vocation de la recherche publique. Parce qu’elle est pluridisciplinaire et indépendante de tout intérêt financier, nous la pensons être le dernier vivier de connaissances sur lequel s’appuyer dans un monde où les crises sont imprévisibles.

Aussi, ayant choisi la recherche par passion et conviction, nous sommes désemparé·es par les politiques menées ces dernières années qui n’ont fait qu’accroître les difficultés que nous rencontrons.

Nous sommes particulièrement préoccupé·es par la précarisation croissante de nos métiers, dont la résultante est le manque de postes permanents en France qui contraint les jeunes chercheur·euses à partir à l’étranger, ainsi que l’augmentation de la durée nécessaire à l’obtention d’un poste stable. L’enchaînement de périodes de chômage et de contrats courts jusqu’à une dizaine d’années après l’obtention du doctorat met nombre d’entre nous face à un choix difficile : la poursuite d’une carrière académique ou une vie de famille / vie personnelle. Cette problématique est encore plus marquée chez les femmes, nombre d’entre elles étant contraintes de laisser derrière elles une carrière scientifique brillante pour se consacrer à leurs enfants, créant ainsi davantage d’inégalités de genre dans le milieu scientifique.

À cela s’ajoute un manque de visibilité sur les financements de la recherche à long terme. Le financement sur projets est non seulement inadapté à l’activité de la recherche qui s’inscrit dans une temporalité plus longue, mais il lui est aussi nuisible. La compétitivité qu’instaure ce mode de fonctionnement n’encourage pas à l’excellence et mène au contraire à une baisse de la qualité de la publication, à des inconduites scientifiques, voire même de la fraude [voir l’avis du Comité d’éthique du CNRS, COMETS] dont on connaît les conséquences désastreuses sur la confiance accordée à la science par les décideurs et l’opinion publique. La recherche est un processus collectif où la compétition n’a pas sa place. Les financements par appels à projets ne permettent pas non plus de remplir les objectifs de productivité affichés, tant leur mise en application est chronophage.

C’est pourquoi, Madame la Ministre, nous souhaitons attirer votre attention sur l’importance critique que revêt pour nous l’augmentation du nombre de postes fixes, ainsi que la pérennisation et le renforcement des budgets récurrents aux laboratoires. Toute autre mesure ignorant ces recommandations, ne serait au mieux qu’un artifice et au pire une énième entaille dans un système de recherche déjà chancelant.

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à cette lettre.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Cordialement,

Un collectif de la recherche publique

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