La loi de programmation de la recherche (LPR), adoptée par le Sénat le 20 novembre 2020, fait apparaître dans son article 22 que le gouvernement est habilité à décider par ordonnance pour :

« 2° Simplifier, dans le respect de la directive n° 2009/41/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés, la procédure applicable aux utilisations confinées de risque nul ou négligeable d’organismes génétiquement modifiés ;

3° Redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés, dans une organisation qui s’appuiera notamment, pour les missions d’évaluation des risques et l’analyse socio-économique, sur l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et qui visera par ailleurs à améliorer les conditions de mise en œuvre du débat public ainsi que la prise en compte des questions éthiques ;

4° Modifier le code de l’environnement, le code rural et de la pêche maritime et le code de la consommation afin de prévoir les modalités de traçabilité et les conditions de l’utilisation des semences des variétés rendues tolérantes aux herbicides et des produits issus ; »

Le gouvernement s’autorise donc à simplifier les procédures pour les usages confinés d’OGM, à redéfinir les missions d’évaluation des OGM et à les réorienter vers l’Anses, ainsi qu’à faciliter la commercialisation et l’usage de semences génétiquement modifiées.

Un amendement déposé par le gouvernement le 27 octobre (et rejeté) confirme en outre la volonté de suppression pure et simple du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) qui réunissait depuis la loi OGM de 2008 des acteurs représentant les industriels du secteur, les syndicats agricoles, les organisations de défense de l’environnement, les représentant·es des malades, ou encore des expert·es juridiques. Les missions du HCB relèveront désormais de l’Anses (Agence sanitaire de sécurité sanitaire), du CESE (conseil économique social et environnemental) et du CCNE (comité consultatif national d’éthique).

Selon des associations de défense de l’environnement (la Confédération Paysanne, France Nature Environnement, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, Les Amis de la Terre et l’Union Nationale de l’Apiculture Française), l’article 22 de la LPR a pour conséquence « d’empêcher toute évaluation coordonnée des enjeux liés aux OGM et de limiter la capacité d’expression de la société civile ». Il met fin à la tentative de mettre en place une instance d’évaluation des biotechnologies qui intègre la claire volonté des citoyen·nes et de la société civile de garantir le droit de cultiver, de transformer et de manger sans OGM. La France met donc fin à une particularité nationale et rejoint les autres États membres en réduisant l’évaluation des biotechnologies aux seuls avis des expert·es de l’Anses, pour les risques sanitaires et environnementaux.

L’amendement confirme également le transfert au ministère en charge de la Recherche de la mission d’évaluation des demandes d’utilisation confinée d’organismes génétiquement modifiés, en sus des missions de délivrance des autorisations et de contrôle qu’il exerce déjà.

Enfin, l’amendement précise, concernant les décisions publiques sur les biotechnologies, qu’en plus de la mission d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, « l’Anses se verra confier la mission d’analyse socio-économique, et mettra à ce titre en place un nouveau comité d’experts spécialisés dans ce domaine ».

Ce point est inquiétant dans la mesure où l’Anses est l’objet de polémiques récurrentes sur les conflits d’intérêts qui la traversent. L’Agence a récemment été décrite dans les colonnes du journal Libération comme « une agence publique qui semble avoir oublié son essence même : préserver la santé publique ». L’enquête d’Aude Massiot a en effet mis en évidence plusieurs situations de conflit d’intérêts, et révèle notamment que l’agence a confié une étude majeure sur la cancérogénicité du glyphosate à un laboratoire recevant des fonds d’industriels des pesticides. En plus d’être alarmants pour la société civile, ces faits décrédibilisent sérieusement la France à l’échelle internationale alors qu’elle est rapporteuse du dossier de ré-autorisation européenne du glyphosate pour 2022.

L’indépendance des établissements publics qui évaluent les risques des OGM et des produits phytosanitaires (pesticides, herbicides, fongicides…) est un enjeu crucial à l’heure où les questions climatiques et environnementales sont plus que jamais au centre du débat public. Il est très inquiétant de constater que le gouvernement organise la concentration des missions d’évaluation, d’autorisation et de prospection économique sur ces questions, tout en favorisant la consanguinité entre la fonction publique et le secteur privé au profit de pratiques industrielles lucratives qui mortifient la biodiversité et la vie humaine. Fin août 2020, Paule Bénit et Pierre Rustin s’alarmaient par exemple de l’absence de réaction de l’Anses face au problème sanitaire et écologique que posent les fongicides SDHI produits par les géants de la chimie BASF, Bayer-Monsanto, DuPont ou Syngenta.

Les recherches de l’équipe de Pierre Rustin ont montré, outre leurs effets délétères sur la biodiversité et l’environnement, qu’une faible concentration de SDHI provoque la mort des cellules humaines : « si l’on ne s’intéresse qu’aux seuls effets chez l’homme, l’effet attendu est l’apparition ou l’accélération de maladies neurologiques, du type maladie de Parkinson ». Pourtant, lors d’une audition au Sénat le 23 janvier 2020, le directeur général de l’Anses, Roger Genet, niait les données scientifiques existantes et dénigrait le principe de précaution en réaffirmant qu’aucun élément ne justifie une éventuelle réévaluation en urgence des autorisations de mise sur le marché des fongicides à base de SDHI. L’Anses n’a jusqu’à ce jour donné aucune réponse scientifiquement valable à l’alerte lancée par l’équipe de Pierre Rustin. Selon Pierre Rustin et Paule Bénit : « les pratiques adoptées par l’Anses, certes réglementaires, nagent dans les conflits ou liens d’intérêt, et cela en l’absence périodique de garantie d’éthique. Bien que la transparence soit revendiquée, c’est plutôt l’omerta qui règne dans les procédures de cette agence. La même que celle qui est couramment pratiquée dans le monde de l’agrochimie, sur des sujets qui réclameraient au-delà des mots une absolue transparence. »

On a pu constater les mêmes dérives de l’Anses dans le dossier néonicotinoïdes : Roger Genet, après avoir déclaré que « oui, ces produits sont des produits nocifs, bien sûr, c’est pour ça qu’on les utilise » réaffirme avec le gouvernement qu’il n’y a pas de meilleures alternatives chimiques en oblitérant totalement la possibilité d’une transition du modèle agricole hors du carcan de la pétrochimie, de ses pesticides et de ses engrais de synthèse. Or, les études scientifiques, telles que les recherches de Catherine Badgley ou le rapport de l’IAASTD auquel ont participé plus de 400 scientifiques du monde entier, montrent non seulement qu’une telle transition est possible et économiquement viable, mais aussi que le modèle agrochimique ne pourra pas nourrir la planète en 2050.

Notons par ailleurs que cette promiscuité des établissement publics administratifs avec le secteur agrochimique s’étend de plus en plus aux établissements publics de recherche. L’INRAE, l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, né en janvier 2020 de la fusion de l’INRA et de l’IRSTEA, réoriente par exemple ses recherches sur les applications potentielles et controversées de la technique CRISPR-Cas9 pour l’agriculture et l’élevage. Cette technique connue comme l’« édition de génome », a été achetée (sous forme de licence) par la plupart des géants de la chimie (notamment Bayer-Monsanto dès 2016). Des études ont montré cependant que cette technique engendre des effets hors-cible et des risques pour le génome encore peu contrôlables. L’édition de génome permet d’opérer des mutations ciblées dans un génome et de fabriquer des organismes vivants considérés comme OGM par la Cour de justice de l’Union européenne depuis un avis de juillet 2018, classification confirmée par le Conseil d’État français en février 2020.

Pourtant, le gouvernement français rechigne à appliquer cette réglementation qui implique de retirer du catalogue des semences génétiquement modifiées actuellement vendues et cultivées en France, notamment des tournesols, des maïs et des colzas. Le 15 juillet 2020, le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) confirmait la nécessité d’appliquer cette réglementation. Le 12 octobre, neuf organisations paysannes, de défense de l’environnement et des citoyens ont saisi à nouveau le Conseil d’État contre le Gouvernement pour non-exécution de ses décisions. Le gouvernement a répondu le 19 novembre par une fin de non-recevoir et persiste ainsi à privilégier les intérêts économiques de l’agrochimie au respect de la loi en vigueur. Finalement, via l’alinéa I-4 de l’article 22 de la LPR, le gouvernement s’autorise à légiférer sur cette question par ordonnance plutôt que par décret. Le gouvernement Castex s’inscrit ainsi dans la tradition des gouvernements réactionnaires de la 5ème République qui ont eu recours aux ordonnances pour mettre en œuvre les aspects les plus rétrogrades de leurs programmes.

Les nouvelles techniques de modifications génétiques dont il est question ici concernent des plantes génétiquement modifiées rendues tolérantes aux herbicides, mais aussi « des modèles cellulaires et animaux sur mesure » et des embryons chimériques fabriqués par des chercheurs de l’INSERM pour « les besoins de la Recherche », ou encore des animaux génétiquement modifiées, redessinés pour mieux s’adapter aux méthodes industrielles intensives. Selon l’INRAE : « l’édition de génome est appelée à devenir un outil d’amélioration des animaux d’élevage, terrestres et aquatiques. Son potentiel réside dans des applications visant, par exemple, l’amélioration du bien-être animal, le renforcement de la capacité des animaux à valoriser leur alimentation [sur-protéinée], leur résistance aux maladies ou leur adaptation à l’environnement d’élevage [intensif] ». On peut légitiment se demander quels sont les besoins et les intérêts défendus ici par l’INRAE.

Face à la législation en vigueur, Cédric Villani, député LREM élu président du bureau de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), affirmait le 22 octobre 2020 son ambition d’amener à la révision de la définition légale d’un OGM pour en exclure les techniques d’« édition de génome » comme CRISPR-Cas9. Il a en tout cas déjà entrepris cette révision dans le vocabulaire puisque comme l’a noté l’association info’gm, il parle de « nouvelles techniques de génie génétique », une expression qui n’a aucune définition précise, ni juridique, ni scientifique, contrairement à l’expression consacrée par la législation de « techniques de modifications génétiques ».

Au prétexte hypocrite de défendre « l’agriculture raisonnée » ou « le bien-être animal » et en recourant à des éléments de langage comme « les technologies innovantes » ou « la lutte contre l’agribashing », les politiques publiques actuelles favorisent le développement et la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés (micro-organismes, végétaux et animaux) de nouvelle génération. Le but affiché est bien de répondre aux exigences de profits et de rentabilité de l’industrie en modifiant génétiquement les organismes vivants pour les adapter aux méthodes productivistes de l’agrochimie, de l’élevage intensif et du secteur pharmaceutique. À la pression politique pour faire régresser les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement et la santé s’ajoute une régression éthique phénoménale quant à notre rapport au vivant.

Ce projet de modèle agricole fondé sur les OGM que promeuvent le gouvernement et les industriels du secteur agrochimique n’a évidemment rien à voir avec l’agro-écologie et le modèle agricole respectueux du vivant et de la biodiversité tel que le conçoivent des acteurs et actrices de la société civile, des associations de défense des consommateurs et de l’environnement, des citoyen·nes. Selon un sondage OpinionWay, les recherches sur les OGM sont celles qui suscitent le plus d’inquiétude des français (68 %) devant le nucléaire (65 %). Selon un sondage IFOP pour Agir pour l’Environnement, 82 % des personnes interrogées sont favorables à une interdiction de l’importation d’OGM en Europe, et 81 % estiment important d’interdire totalement l’utilisation de cultures OGM, même dans l’alimentation animale. En outre, 89 % des personnes interrogées pensent que « l’interdiction totale des pesticides chimiques en Europe » est à instaurer d’ici à cinq ans.

En définitive, contre l’avis des citoyen·nes, non seulement le gouvernement exclut la société civile du processus d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des biotechnologies, mais il fait également converger les prérogatives des pouvoirs publics (y compris les forces de l’ordre) et celles de la recherche publique vers la défense des intérêts économiques des secteurs industriels agro-chimiques et pharmaceutiques. Vaches sans cornes, cochons nés déjà castrés, soja sur-protéiné, semences enrobées de pesticides de synthèse… : la modification de l’ADN et la privatisation du vivant dans un but lucratif constituent-elles véritablement des politiques d’avenir pour la société ?

Les questions sont multiples et complexes. Nous avons collectivement besoin d’une recherche approfondie, de qualité, et d’espaces démocratiques pour discuter collectivement des usages de ces technologies. Il nous faut donc défendre à la fois une recherche publique indépendante, correctement dotée, et des instances de contrôle réellement ouvertes et transparentes.

Or, les politiques gouvernementales consistent actuellement à financer et à débrider l’innovation sur les biotechnologies en suivant les besoins des industriels, et en la plaçant hors de tout contrôle démocratique : une fois de plus, la LPR met les moyens de la recherche publique au service des intérêts privés. Les dispositifs de précarisation, de privatisation et de pénalisation portés par la LPR – massivement rejetée par les acteurs et actrices de l’enseignement supérieur et de la recherche – ne feront que réduire toujours plus les libertés académiques, tout en entravant les recherches indépendantes. La LPR dessine ainsi un avenir sombre pour la recherche publique, mais aussi pour la société toute entière, devenue prisonnière du secteur privé et de ses obsessions prédatrices.

Illustration : photographie par Rostichep

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