État d’urgence sanitaire

À entendre ses prises de paroles télévisées, on aurait pu croire au premier abord que la crise du COVID-19 était, pour Emmanuel Macron, un chemin de Damas sur lequel il aurait eu une révélation, rencontré un prophète dénommé Keynes ou Marx. Ainsi, le président a promis qu’il saurait tirer les leçons de cette pandémie et rompre radicalement avec sa ligne politique : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », déclarait-il ainsi le 12 mars dernier.

Pourtant, quelques jours plus tard, il faisait voter une loi instaurant un d’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois, dont certaines dispositions constituent des atteintes sévères au Code du travail. Faudrait-il soigner le mal par le mal ? Car c’est la casse du service public, et non le droit du travail, qui a permis à la vile maladie de se répandre ; c’est la casse du système de santé qui est responsable du manque de respirateurs et de soignant·es dans les hôpitaux. Pour sauver nos vies face à la pandémie, l’ordonnance du docteur Macron prévoit l’imposition des dates de prise de RTT sur décision unilatérale de l’employeur, l’augmentation de la durée de temps de travail dans des secteurs dits « nécessaires à la sécurité de la nation et à la vie économique du pays », dont la liste sera publiée par décret. Rappelons que le gouvernement avait d’autres ambitions : il prévoyait de s’attaquer aux congés payés pour que l’employeur puisse forcer, sans délai, la prise de congés pendant le confinement. Rappelons aussi qu’au nombre des secteurs nécessaires à la vie du pays, on comptait dans la première liste des commerces comme les marchands de thé ou les chocolateries… Face à de telles mesures « sanitaires », le virus n’a qu’à bien se tenir !

Ni rupture ni révélation donc, si ce n’est que le gouvernement a décidé d’enclencher la vitesse supérieure dans une politique qui nous a déjà mené·es au bord du gouffre.

Dans cet état d’urgence, les ministères continuent de gouverner par décrets et profitent du confinement pour passer discrètement des réformes d’apparence technique, qui participent du dispositif prévu par la LPPR. Le MESRI a ainsi prolongé les mandats des président·es d’université et s’apprête à autoriser les auditions de recrutement par visio-conférence intégrale (des membres de jury et des candidat∙es). Nous nous souviendrons aussi que de nombreuses mesures liberticides prises dans l’État d’urgence voté après les attentats de novembre 2015 sont entrées dans le cadre du droit commun deux ans plus tard.
Il faut donc se montrer extrêmement vigilant·es. 

Les inégalités et le monde qu’on nous prépare

Au-delà de ces stratégies d’un gouvernement irresponsable qui utilise une crise sanitaire comme prétexte à une politique droitière, le confinement est devenu un révélateur brutal de l’inégale valeur des vies. Car confiné·es, nous ne le sommes pas tou·tes, et quand nous avons le privilège de l’être vraiment, nous ne le sommes certainement pas dans les mêmes conditions. Pendant que certain·es peuvent télétravailler, d’autres sont enjoint·es de se rendre sur leur lieu de travail, sans mesures sanitaires spécifiques ni équipement de protection adéquat, pour assurer la survie des confiné·es et de « l’économie ».
À celles et ceux qui disaient que la « classe ouvrière » avait disparu : regardez par la fenêtre, la classe ouvrière est constituée de tou·tes celles et ceux qui n’ont pas le privilège d’être véritablement confiné·es.

L’inégalité s’illustre également dans les contrôles policiers, dans cette période où leur arbitraire semble redoubler. Au 19 mars, 10% des amendes dressées dans le pays tout entier l’étaient en Seine-Saint-Denis. Est-ce à dire que la population de ce département est moins disciplinée qu’ailleurs ou que le mal-logement y est plus insupportable et que les contrôles policiers sont encore accrus dans les quartiers populaires ?

L’inégalité se matérialise, de fait, dans le logement. Pendant que certain·es bénéficient de grands espaces et d’extérieurs, que d’autres ont fui vers leurs résidences secondaires au risque de propager l’épidémie, beaucoup s’entassent dans de petits appartements, parfois insalubres, où les tensions s’exacerbent. Les signalements de violences domestiques ont ainsi augmenté ces derniers jours. Nous pensons aux habitant∙es qui cohabitent avec des punaises de lit, comme à Marseille, et aux étudiant∙es qui n’ont eu d’autres solutions que de rester dans leur logement de cité universitaire, minuscule, sans connexion internet de qualité, avec accès à des sanitaires ou des cuisines communes, non désinfectées.

Aux inégalités de classe et de race, s’ajoutent les inégalités de genre dont nous parlerons spécifiquement vendredi. Ces dernières ont sans nul doute une influence sur la possibilité réelle du télétravail en présence d’enfants au domicile, lesquels doivent pouvoir bénéficier de l’attention et du temps de leurs parents pour que soit assurée la dite « continuité pédagogique« .
Le gouvernement ne semble pas prendre en compte les écarts d’accès au savoir scolaire et au matériel informatique accroissant encore les inégalités sociales.

Les universités sont fermées, nos luttes continuent !

À l’université aussi, l’épidémie et les mesures sanitaires révèlent et aggravent les inégalités. Dès le 14 mars, nous écrivions qu’aucun·e travailleur·se ou étudiant·e ne devait être contraint·e de se rendre dans les facs et labos. Hélas, de nombreux·ses BIAT·O·SS ont été obligé·es de se rendre sur leur lieu de travail, au mépris des précautions sanitaires, tou·tes comme les employé·es chargé·es de la propreté, à qui leurs entreprises demandent de faire un nettoyage de printemps dans des universités vides !

Du côté des étudiant·es et des enseignant·es, la « continuité pédagogique » s’est imposée comme le mot d’ordre absolu de F. Vidal et E. Macron. Pourtant, la fermeture des facs aux étudiant·es et à une large part des travailleur·ses est incompatible avec la poursuite des cours et des évaluations. Nous nous opposons à ce gigantesque test de « la formation à distance », qui détruit un enseignement universitaire fondé sur l’interaction et la coproduction des savoirs. Sans même parler de l’absence de financement par les universités du matériel informatique des des abonnements internet pour les enseignant∙es à leur domicile, ces pratiques menacent la protection des données personnelles ainsi que le contrôle des enseignant·es sur leur travail et ses fruits, notamment sur le plan de la propriété intellectuelle. Quant aux considérables obstacles techniques à l’enseignement à distance, ils sont autant d’obstacles sociaux, qui aggravent les inégalités déjà en forte augmentation avec les politiques universitaires actuelles.

Pour toutes ces raisons, et face à la crise considérable que nous vivons, c’est la discontinuité pédagogique qui doit primer, pour s’assurer que chacun·e puisse prendre soin de soi et de ses proches, mais aussi, parce que de trop nombreuses personnes vont faire face à des situations sanitaires, économiques et émotionnelles dramatiques.

Pour assurer la discontinuité pédagogique, faire grève a donc encore tout son sens. 

Plus largement, c’est l’ensemble de nos luttes que nous devons poursuivre !

Face à la pandémie, nous devons œuvrer au rétablissement durable des solidarités collectives et des services publics, en particulier de santé et de recherche. Dans l’immédiat, la mobilisation des précaires de l’ESR a payé en poussant le ministère à reporter la date de dépôt des dossiers pour les candidatures aux postes de maitre·sses de conférence et de professeurs. Il faut maintenant nous assurer que les auditions ne se dérouleront pas à distance. Afin que chacun·e puisse traverser le plus sereinement possible son confinement, nous exigeons que le ministère assure, urgemment, la rémunération de tou·tes les précaires des facs et labos.

La crise que nous traversons souligne l’importance d’une recherche publique rigoureuse financée sur le long terme et d’un enseignement qui forme des citoyen·nes averti·es. Nous devons nous battre pour obtenir un plan massif de titularisations, des postes et des moyens à la hauteur des besoins.

De nombreuses initiatives de lutte et de solidarité vous seront présentées dans les prochains jours par la Confinée Libérée

Aujourd’hui, nous devons nous organiser pour nous protéger tou·tes dans ces terribles circonstances, mais aussi pour être plus fort·es que jamais quand nous aurons collectivement vaincu l’épidémie !

Un commentaire sur « Dix jours de confinement – édito #1 de la Confinée Libérée »

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