Par la section SNTRS-CGT de Pouchet

Les BIATSS (personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques) et IT (personnels ingénieurs et techniques) rassemblent différents types de métiers (scientifiques, techniques et administratifs, etc.) et de statuts (catégories A,B,C la fonction publique, contractuels). Alors que les BIATSS travaillent dans des établissements universitaires, mais peuvent être, depuis 2007, rattachés aux collectivités territoriales, les IT exercent dans des organismes de recherche, soit au sein des unités mixtes de recherche, soit dans les services administratifs des organismes.

Si leur travail est souvent invisibilisé dans les discours politiques sur l’enseignement supérieur et la recherche, il est pourtant central dans l’organisation des enseignements, le suivi des étudiant·es, le bon fonctionnement des établissements, mais aussi dans le recueil de financements, la mise en œuvre des travaux de recherches avec la réalisation de manipulation ou d’objets scientifiques, la collecte, le suivi et le traitement des données. En fonction des institutions de rattachement et des métiers, leurs conditions de travail et d’emploi varient énormément.

Ce texte vise donc à poser certains jalons pour comprendre les effets du détricotage du service public de l’ESR depuis les réformes « LMD » (« Licence-Master-Doctorat », 2002) et « LRU » (« Loi relative aux libertés et responsabilités des universités », 2007) et interroger ceux de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR).

Une précarisation grandissante, des conditions de travail dégradées

D’abord, la dégradation de la fonction publique, à travers la multiplication des contrats à durée déterminée et la précarisation des personnels, touche ces deux catégories de travailleur·ses : plus d’un tiers des BIATSS, et un quart des IT sont des agent·es non-titulaires.

Entre 2008 et 2016, le nombre de recrutements d’IT a baissé de 44% !

En plus d’une précarité croissante pour ces corps de métiers, la sélection accrue aux concours externes d’IT s’accompagne d’une forte hausse du niveau de diplôme des lauréat·es de l’ensemble des concours.

Par ricochet, la contractualisation des travailleur·ses enseignant·es et de recherche affecte également les IT et les BIATSS : par exemple la logique de financements de la recherche par appels à projets tend à accroître la surcharge de travail et la pression au travail, tout en accentuant leur précarisation (des personnels IT pouvant alors être recruté·es pour un projet précis).

Les multiples restructurations que subissent les organismes de recherche, qui passent notamment par des mutualisations de postes, affectent les conditions de travail et l’identité professionnelle des travailleur·ses.

Par exemple, le CNRS se transforme peu à peu en une agence de moyens pour les universités, les écoles mais aussi les partenariats de recherche et développement avec le privé : il a vocation à fournir des équipements et du personnel de « soutien à la recherche » en laissant le recrutement d’enseignant·es-chercheur·ses et la politique scientifique aux « sites d’excellence ».

La « mutualisation des postes de soutien » avait déjà commencé mais elle est devenue une politique systématisée depuis une circulaire de 2016. Elle ne sert pas qu’à augmenter la charge de travail pour faire baisser les coûts : il s’agit de créer des plateformes de service standardisé. Les IT sont extraits des laboratoires pour être rassemblés dans des Unités mixtes de service, Unités propres de service ou Unités de service et de recherche (qui gèrent par exemple les Maisons des sciences de l’homme), sous l’autorité d’un.e manager administratif, non scientifique. Là, ils et elles doivent changer de métier : gérer plusieurs revues, plusieurs structures transversales, s’approprier des outils informatiques standardisés qu’ils sont ensuite chargés d’imposer à plusieurs laboratoires, etc.

Ces transformations les conduisent non seulement à devoir s’adapter à autant d’injonctions contradictoires et de cultures de travail qu’il faut concilier (d’un labo à l’autre, d’une revue à l’autre, etc.) mais aussi à réduire leur activité à l’application de standards au détriment des connaissances et des savoir-faire construits dans le temps long au contact des spécialités de telle revue ou de tel laboratoire. Les métiers sont ainsi dilués dans une multiplicité d’interlocuteurs, de bénéficiaires, et de donneurs d’ordre, et dans la variation croissante des fiches de postes. Cela génère une invisibilisation accrue du travail puisque les services sont rendus à distance et non dans les unités de recherche, ce qui impacte la reconnaissance du travail et donc l’évolution des carrières.

Ainsi, on assiste à la dévalorisation non seulement des statuts mais également des métiers qui crée une grande souffrance, une perte de sens chez les travailleur·ses et qui sape les formes de solidarité entre elles et eux.

Alors qu’elles et ils sont la colonne vertébrale de bien des projets combien sont désemparé·es, démotivé·es et abandonné·es ? Elles et ils doivent naviguer entre perte de sens, contraintes, absence d’évolution dans les carrières !

La LPPR, une étape supplémentaire dans la précarisation des IT et des BIATSS et la dévalorisation de leur travail

La mobilisation actuelle autour de la LPPR met en lumière les restructurations de l’emploi des IT et des BIATSS. Si ces deux catégories de travailleur·ses sont presque absentes des rapports préliminaires à la loi, le projet de loi entérine des logiques déjà existantes.

Rappelons que la récente loi sur la Fonction Publique a anticipé certaines des réformes de la LPPR pour les BIATSS et les IT. C’est en particulier le cas avec la création des contrats de projet. C’est aussi le cas pour la gestion des carrières des IT. La loi sur la Fonction publique de 2018 vide les Commissions administratives paritaires (CAP) de leurs prérogatives car l’avis des CAP sera supprimé sur les questions relatives à l’avancement, à la promotion interne, aux mutations et à la mobilité, laissant le champ libre aux directions et à l’administration sur ces questions. Elles ne seront plus consultées qu’en cas de recours par l’agent et qu’en cas de discipline. De plus, les CAP ne seront plus organisées par corps comme actuellement mais par catégorie hiérarchique A, B et C. Ce rabougrissement des CAP permettra aux Directions de fermer, restructurer les services, de leur donner toute liberté de faire à leur guise concernant l’affectation et la carrière des agents.

Avec la fusion des Comités Techniques (CT, chargés de l’organisation et du fonctionnement des services, des règles statutaires et relatives à l’échelonnement indiciaire, des orientations en matière de politique indemnitaire) et des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT, en charge de la protection de la santé physique et mentale et de sécurité des agents), le nombre de délégué·es et représentant·es du personnel diminue, donc leur contre-pouvoir.

Avec l’instauration du RIFSEP (Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel), la part des primes « à l’excellence », qui ne dépendent que du bon vouloir du supérieur, augmente au détriment de la transparence et de la logique égalitaire par corps. Il remplace la prime de participation à la recherche scientifique (PPRS), perçue auparavant par tou·tes les IT titulaires, et d’autres primes spécifiques (comme la prime de fonction informatique (PFI) ou la prime de technicité, l’indemnité spécifique pour fonction d’intérêt collectif (ISFIC)).

Sous couvert d’harmonisation entre les corps de métier, cette mesure ne fait qu’accroître les inégalités entre les agent·es en individualisant les primes et en diffusant une logique de compétitivité dans les services. Cela renforce les inégalités entre les agent·es titulaires et précaires, puisque ces dernièr·es ne la touchent pas. Autre signe de ce contrôle accru des travailleur·ses par les dernières réformes, rappelons que l’administration peut désormais licencier les fonctionnaires depuis le 31/12/2019.

Les travailleur·ses IT et BIATSS qui subissent depuis des années les conséquences de l’idéologie de la flexibilité et précarité seront les premières cibles de la LPPR. Les rapports préliminaires laissent envisager : 

  • une précarisation accentuée du personnel ;
  • des inégalités accrues entre les titulaires et les précaires, et entre les fonctions d’encadrement et les autres, avec la disparition progressive des positions intermédiaires ;
  • la désorganisation des équipes par les départs permanents (fin de contrat, démission, burn-out) ;
  • l’individualisation par les primes à la performance et à « l’engagement » qui seront aux seules mains des managers ;
  • l’externalisation au privé, parfois à des filiales de l’université en joint-venture avec des capitaux privés.

Si les rapports sur la LPPR font peu de cas de la mise en œuvre effective de la recherche et de l’enseignement, et donc du travail des agents qui la rendent possible, des mesures pourront être prises au coup par coup pour accroître le contrôle sur le travail des BIATSS et des IT.

Ainsi, la cour des comptes a demandé que la LPPR permette d’augmenter le temps de travail des BIATSS de 9% en moyenne et de contrôler les jours de congés.

Toutes et tous, ensemble, pour l’avenir de la recherche, contribuons à la mobilisation contre le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR).

Crédit photo : Janko Ferlič

3 commentaires sur « Sur les transformations en profondeur du travail et de l’emploi des statuts et des métiers des BIATSS et IT depuis la LRU »

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