Le 10 décembre dernier, l’un de nos collègues, récemment docteur, a reçu une obligation de quitter le territoire (OQTF). Nous publions ci-dessous la lettre ouverte qu’il adresse au gouvernement. A la fin de ce billet, un lien vers une cagnotte en ligne pour l’aider financièrement dans ces démarches.

Le Collectif Marcel.les Mauss

Madame, Monsieur,

Je suis résident en France depuis le 28 septembre 2010, originaire du Sénégal et docteur en sociologie de l’Université de Bordeaux en novembre 2020. J’ai fait tout mon cursus universitaire (L1-Doctorat) en France. Vous serez sans doute étonné·e que ma requête, en tant qu’un des « premiers de cordée », concerne l’obtention d’un titre de séjour digne et régulier que votre administration me refuse. Comme vous, je crois à l’appel des premiers de cordée et surtout au « mérite ». Je crois aussi à la justice et à l’humanité. Ce matin à mon réveil, j’ai reçu deux nouvelles : toutes deux mauvaises, provenant de l’administration française. A cet effet, je me suis permis de vous écrire non pas uniquement pour plaider la cause d’une voix singulière longtemps silencieuse, mais pour donner échos à ses chœurs pluriels qui n’ont point d’écoute. Lorsqu’un·e Préfet·e ordonne une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour des étrangers dont le seul tort est la réussite professionnelle et sociale, il vous appartient, me semble-t-il, de rappeler ce qu’on entend par « premier de cordée » et « mérite à la française ».
Madame, Monsieur, cela fait 10 ans que je réside en France, alternant entre études universitaires et activité professionnelle. J’ai payé 155,75 € d’impôt par mois pendant toute l’année 2019. Je viens d’effectuer ma soutenance de doctorat après plusieurs années de recherche et d’enseignement au sein de plusieurs établissements français (Université, IRTS, etc.) et je risque aujourd’hui d’être obligé de quitter le territoire français alors même que j’occupe un emploi et que je suis intégré au sein de deux projets de recherche (Projet UDCASS Dordogne ; Projet Africa 2020 CALCUL MENTAL Martinique/Sénégal). Mon emploi actuel m’amène à m’occuper de jeunes en difficultés, en conflit avec la loi, que j’aide à trouver une nouvelle voie dans la société française. Comment devrais-je convaincre ces jeunes français·es étant nés et ayant grandi dans les zones difficiles et qui sont à la merci de la délinquance que la voie de salut est le travail ? Ces jeunes dont j’ai pris soin durant les deux périodes de confinement. Parmi ces jeunes, il y a parfois des mineurs non accompagnés à qui l’on impose de s’intégrer, d’épouser les valeurs de la République et celle du travail. Comment devrais-je expliquer ma situation à ces jeunes mineur·es étranger·es non accompagné·es qui rêvent de la France du mérite et du travail ? Comment dois-je expliquer ma situation à ces jeunes placés dans notre Centre d’Éducation Renforcée qui rêvent peut-être de devenir comme moi ? Une chose est sûre, au nom d’une société juste, je n’ai pas le droit de leur dire : « Bon… après 10 ans de résidence régulière en France, entre étude et travail (Docteur de surcroît) vous n’aurez pas le droit à un titre de séjour normal qui vous permettra de travailler sans problème. Je ne peux leur dire que cela ne sert à rien de se battre pour réussir, ici ou ailleurs. Je ne pense pas que c’est le message que la France veut renvoyer à tou·tes celles et ceux qui la croient être un espoir. Madame, Monsieur, si celles et ceux qui travaillent et qui réussissent n’ont pas leur place en France, qui donc a sa place dans le pays des droits de l’Homme ? Dans l’intérêt de ce qu’incarne la France à travers le monde, il vous revient de rétablir la dignité et l’Humanité de la France en lui redonnant sa raison et ce qui fait le cœur de ses principes républicains. N’attendez pas que la France se vide de ses talents qui vont vers de nouveaux horizons alors qu’elle même a participé à leur génie. Maintenant, qu’allez-vous faire pour ces nombreux cas, comme moi, contraints de se battre contre l’administration pour mendier une « miette de compassion » pour que leurs droits élémentaires soient respectés ? Mettre dans des camps de rétention ? Expulser ? Je reste persuadé que vous allez agir autrement, vous qui avez eu la bonne idée de reconnaître la mobilisation des étranger·es exposé·es lors de la première période du confinement pour permettre à la vie sociale et économique de continuer. J’en fais partie. Qu’attendez-vous donc Madame, Monsieur ?

Veuillez croire, Madame, Monsieur à l’expression de ma considération distinguée et vive.

Caisse de soutien mise en place par le Collectif Marcel.les Mauss : https://www.helloasso.com/…/soutien-economique-et…

Illustration : Affiche du label paradoxalement nommé « Bienvenue En France », censé améliorer l’accueil des étudiant·es étrangèr·es dans les universités, alors qu’il instaure une hausse radicale de frais d’inscription, multipliés par seize pour les étudiant·es non européen·nes.

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