Dans un article sur Nonfiction, Antoine GAUDIN (maître de conférences en Etudes cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle) livre les témoignages d’anciens étudiant·es extra-communautaires. Des témoignages qui complètent les vidéos des étudiant·es actuellement dans les établissements français rassemblés par la campagne PayeTesFrais. Extraits :

Le premier interviewé est Wissam Mouawad, enseignant en études cinématographiques au Liban.

Pensez-vous que vous auriez pu venir en France pour vos études si les frais d’inscription annuels avaient été de plusieurs milliers d’euros ?

Je pense que cette augmentation est une très mauvaise idée. Le monde est aujourd’hui ouvert et les universités anglophones, en particulier américaines, sont maintenant en position très dominante. Le marché de l’emploi favorise les diplômés sortant de facs américaines. L’attrait principal de la France reste qu’elle offre des formations de bonne qualité à bas coût. Le jour où les étudiants étrangers auront à choisir entre payer en France et payer ailleurs, ils préféreront payer en Grande Bretagne ou aux USA. Je pense aussi que cette augmentation s’inscrit dans une politique de sape de l’Université publique. Il s’agit d’ouvrir le marché de l’enseignement supérieur en France, qui est libre (n’importe qui peut ouvrir un établissement d’enseignement supérieur) mais pas très intéressant financièrement car l’Université publique est un concurrent très puissant. Casser l’université publique permettra d’ouvrir le marché de l’enseignement supérieur aux investisseurs privés.

La deuxième interviewée est Qiwen Zhang, chinoise, scénariste.

Pouvez-vous vous décrire en quelques lignes votre expérience d’étudiant(e) dans l’Université française ?

C’était une expérience précieuse d’être étudiante en cinéma en France. D’une part, les ressources artistiques sont extrêmement riches à Paris ; d’autre part, les frais de scolarité raisonnables et les aides au logement alloués m’ont permis de faire ma recherche (j’ai produit en France un mémoire de Master sur le cinéaste Tsai Ming-Liang) dans une atmosphère plus libre et moins anxieuse. Venant de Chine, j’avais choisi la France pour continuer mes études, d’abord parce que le français était ma seconde langue étrangère, mais aussi et surtout parce que la France, pays berceau de la cinéphilie, est LE premier choix pour les étudiant(e)s en cinéma ! Les études que j’ai faites sur les théories cinématographiques ont considérablement enrichi mes connaissances sur cet art, et m’ont donné de nouvelles perspectives, qui ont encore aujourd’hui des influences sur ma création en tant que scénariste.

Pensez-vous que vous auriez pu venir en France pour vos études si les frais d’inscription annuels avaient été de plusieurs milliers d’euros ?

Pour moi, la réponse est positive. Mais il faut dire que l’augmentation du frais de scolarité peut être vue comme un signal négatif, indiquant que la France n’est plus un pays accueillant pour les étudiants hors-UE. Et la différence financière aurait créé une inégalité très étrange entre nous, les étrangers hors-UE, et nos camarades français et européens, qui auraient eu accès aux mêmes prestations en payant quinze fois moins que nous. À mon avis, cela peut avoir une influence négative sur l’atmosphère d’un campus, et sur la façon dont les étudiants étrangers hors-UE, s’ils payent autant, envisageront leur rapport à l’Université.

Le dernier entretien se déroule avec K.G., chercheuse en psychologie cognitive en Suisse, qui nous explique souhaiter rester anonyme en raison de l’incertitude entourant son statut administratif en France.

Pouvez-vous vous décrire en quelques lignes votre expérience d’étudiant(e) dans l’Université française ?

Au niveau professionnel, les apports sont évidents. L’éducation universitaire est beaucoup plus moderne en France que dans mon pays d’origine. Mais au-delà d’avoir suivi des études en France, ce qui m’avait le plus apporté c’était de pouvoir m’imprégner d’une culture aussi riche. J’ai fait toutes mes études en France, licence, master et puis un doctorat. J’ai eu un contrat doctoral, donc j’ai à ce moment-là travaillé en tant que chercheuse en France. J’y ai donc passé environ un tiers de ma vie, quasiment l’intégralité de ma vie adulte. Les bénéfices personnels sont donc très difficiles à résumer en quelques lignes. Dans mon pays d’origine on valorise seulement l’accumulation de connaissances et le fait de connaitre beaucoup de faits sur différents sujets. Cela me paraissait toujours comme une mesure insuffisante de la grandeur d’une personne. C’était donc assez nouveau pour moi de découvrir la valeur que le débat a dans la société française et comment la passion pour la discussion, sur n’importe quel sujet, permettent d’ouvrir et de cultiver l’esprit. Au niveau du fonctionnement du pays, j’ai pu connaitre le fait que le service public puisse être quelque chose de qualité et qui est au service des citoyens. Dans mon pays d’origine, la seule possibilité d’obtenir un service de qualité, c’est malheureusement de passer par le privé, en payant plus cher.

Pensez-vous que vous auriez pu venir en France pour vos études si les frais d’inscription annuels avaient été de plusieurs milliers d’euros ?

Si les frais de scolarisation étaient aussi élevés qu’on les propose maintenant je pense que la France n’aurait pas été ma priorité. Un premier argument que j’ai pu donner à ma famille pour avoir leur soutien était effectivement que les frais d’inscriptions annuels en France étaient bas. Sinon, mon père aurait pu beaucoup plus facilement écarter la possibilité que je parte étudier dans un pays étranger. Je pense que le discours qui est mené par le gouvernement actuel sur l’amélioration des conditions d’accueil des étudiants étrangers par le biais de l’augmentation des frais d’inscription est très peu sérieux et qu’il ne sera pas suivi des faits. Cette augmentation de frais pour les étrangers est assez étonnante pour moi, car elle ne correspond pas du tout à la mentalité française que j’ai connue.

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