Ce qui se passe en ce moment dans les universités américaines est très réjouissant, pour les jeunes chercheur·ses et pour tou·tes celles et ceux qui luttent contre la mise en concurrence au niveau mondial des universités – mise en concurrence qui a comme conséquence une précarisation toujours accrue pour leurs travailleur·ses.

Deux évènements marquants en ce mois de décembre

Victoire dans les universités publiques

Sous la pression d’une menace de grève importante, l’Université de Californie (UC) – le plus important ensemble universitaire publique américain, qui comprend notamment Berkeley comme UCLA et héberge les principaux laboratoires nationaux de physique du pays (Los Alamos, etc.), disposant d’un budget équivalent à celui du CNRS – vient de reconnaître le droit de ses student researchers (les 17 000 doctorant·es et graduate students employé·es comme assistant·es de recherche dans les laboratoires) à former un syndicat et négocier une convention collective. Cette reconnaissance de représentativité obligera l’ensemble universitaire UC à inclure des garanties de base (assurance maladie, congés maternité et places en crèches, salaires, etc.) identiques pour l’ensemble des jeunes chercheur·ses doctorant·es ou grad students qu’elle emploie. Alexandria Ocasio-Cortez était venue il y a quelques jours prêter sa notoriété à leur combat, ce qui indique le portée nationale de ce dernier, mais leur victoire s’ancre d’abord dans une histoire récente de mobilisations locales victorieuses. Cette décision fait suite à une reconnaissance similaire pour les doctorant·es et étudiant·es travaillant comme enseignant·es ou tuteur·rices, obtenue il y a quelques années. En 2008, ce sont les postdocs (6 000 postdocs, 1/10e de l’ensemble du pays) qui arrachaient une convention collective.

Les syndicats professionnels d’étudiant·es salarié·es des universités publiques existent depuis les années 1990 aux États-Unis, leur reconnaissance variant selon la législation des États tutelles (il n’y a pas d’enseignement supérieur national aux États-Unis, c’est une compétence des États fédérés). Néanmoins, on sait que les universités publiques sont une petite partie de l’enseignement supérieur états-uniens et que les institutions privées représentent la part du lion aux USA.

Victoire dans les universités privées

Le deuxième évènement se passe dans une université privée, l’une des plus riches et prestigieuses, membre de la sélecte Ivy League et située en plein Manhattan : Columbia.
Les universités privées comme Columbia ont bénéficié longtemps de la mansuétude du National Labor Relations Board, sorte d’inspection générale du travail, qui considérait traditionnellement que le travail d’enseignement ou de recherche assuré par un·e étudiant·e ne lui valait pas le statut de travailleur·se, mais seulement un statut scolaire éventuellement contre reconnaissance financière de certaines tâches dans le cadre de cet engagement scolaire. Un peu comme les doctorant·es avec une bourse en France : pas de protection sociale, pas de statut de travailleur·se, c’est « juste une aide pour faire vos études (contre la réalisation tâches imposées) ».

Et bien cette instance – nommée par le Président – a rendu une décision historique, en 2016, contre Columbia qui refusait de négocier une convention collective avec un syndicat de grad students. Elle a reconnu que les grad students (l’équivalent des doctorant·es), ainsi que les assistant students (étudiant·es employé·es comme assistant·es de recherche) devaient être regardé·es comme des travailleur·ses salarié·es, avec le droit à un syndicat représentatif pour négocier un contrat collectif. Face à cette terrible menace, les grandes universités du pays se sont liguées pour faire appel. Sans succès : Student Workers of Columbia est devenu le premier syndicat professionnel de doctorant·es et étudiant·es assistant·es d’une université privée aux États-Unis.

Mais Trump arrivant au pouvoir, le National Labor Relations Board fut renouvelé – et pas dans le bon sens. De crainte qu’il ne renverse sa position, le syndicalisme des grad students s’est mis en veille, en attendant des jours meilleurs… Fin 2019, le Board trumpiste a rédigé une décision retirant le statut de travailleur·ses aux doctorant·es et grad students. Heureusement l’arrivée de l’administration Biden a déchiré ce brouillon avant son entrée en vigueur. Student Workers of Columbia négocie alors leur seconde convention collective pluriannuelle et exige des hausses de salaires, que la richissime Columbia – appuyée sur un fonds d’investissement de 10 milliards de dollars – refuse d’accorder. Après des mois de négociations infructueuses, les membres ont voté la grève illimitée et des milliers de grad students sont en grève depuis début novembre, n’assurant plus les cours et bloquant la remontée des sacro-saintes notes. Cela fait donc maintenant plus d’un mois qu’iels tiennent la grève, ce qui a même fait une pleine page du New York Times. Qu’à cela ne tienne, l’université vient de décréter qu’elle validerait tout le semestre sans notes, pour contourner le blocage des jeunes enseignant·es grévistes, et qu’elle ne renouvellerait pas le contrat des grévistes. Alexandria Ocasio-Cortez et Jamaal Bowman, député·es démocrates socialistes de New York, sont venu·es apporter leur soutien en demandant à Columbia d’accepter la négociation. Une plainte auprès du National Labor Relations Board a été déposée par le syndicat pour pratiques déloyales visant à briser la grève. Wait and see…

Derrière ces 2 événements importants de décembre, se cache un récent foisonnement. Biden se voulant « le président le plus pro-syndical qu’on ait jamais vu », et les nouveaux élu·es démocrates socialistes, qui secouent les vieilles aristocraties sortant de la Ivy League pour pleurer des larmes de crocodiles sur la faim dans le monde, ayant libéré un bouillonnement sans précédent dans l’organisation syndicale des grad students en 2 ans. Des syndicats de doctorant·es, de grad students, de post-doctorant·es, d’assistant·es d’enseignement, etc. – bref, de tout ce précariat faisant tourner l’université contemporaine – émergent un peu partout : Harvard Graduate Students Union à Harvard, Graduate Student Organizing Committee à New York University, Graduate Labor Organization à Brown, Georgetown Alliance of Graduate Employees (GAGE) à Georgetown, et de nombreux autres se battant pour obtenir une reconnaissance de représentativité par le National Labor Relations Board, comme à Princeton ou Yale. Affiliés pour la plupart à l’union syndicale United Auto Workers (UAW), maison-mère des ouvrier·es de l’automobile à sa grande époque, les academic workers précaires, qu’iels soient étudiant·es assistant·es, doctorant·es ou post-doctorant·es, représentent maintenant 10% du million d’adhérent·es de la fédération ! Un bouleversement syndical qui va produire des effets encore longtemps… Et dont nous aurions beaucoup à apprendre ici en France.

Pour aller plus loin : les pages syndicats de précaires à UC (à qui nous empruntons l’illustration en tête de ce billet) et à Columbia et trois articles sur le sujet, du NY Times, de Jacobin et du Crimson.

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