Intervention de membres de l’AG Île-de-France des précaires de l’ESR lors de l’AG de coordination francilienne des facs et labos en lutte – 18 janvier 2020
L’assemblée était essentiellement composée de mandaté·e·s, étudiant·e·s, personnels précaires et titulaires, de facs et labos en luttes et de syndicats
Nous sommes des milliers à faire vivre l’ESR sans en vivre. Même sans la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), la situation est déjà catastrophique, le système est déjà « inégalitaire et darwinien ».
Le collectif des travailleur·se·s précaires de l’ESR est en train de se réactiver. Pour nourrir la mobilisation, nous rassemblerons en ligne les documents d’analyse qui existent déjà sur la précarisation de l’ESR pour qui souhaite s’informer sur le sujet. Mais vous pouvez aussi et surtout vous adresser à nous quand vous nous rencontrez dans tous vos couloirs – et quand nous avons de la chance, dans les bureaux où nous vous côtoyons.
Nous qui sommes précarisé.e.s par les institutions de l’ESR, enseignant.e.s- chercheur.se.s, chercheur.se.s ou BIATSS, ont un point commun : nous comptons pour la plupart sur les indemnisations chômage pour vivre. Nous, enseignant·e·s-chercheur·se·s et chercheur·se·s précarisé.e.s, comptons sur les indemnisations chômage pour continuer à mener toutes les activités de recherche permettant de rester dans la compétition (ou de croire que nous y restons). Qu’une grande part de la jeune recherche soit financée par l’assurance chômage, cela est complètement anormal voire frauduleux pour le système de Sécurité sociale, mais c’est pourtant ce qui se fait ! Tout travail de recherche mériterait pourtant salaire. Et dans une telle configuration, plus les conditions d’accès aux indemnités de chômage ou aux minima sociaux sont compliquées, plus nos conditions de vie sont compliquées, et plus nous nous appauvrissons. C’est le cas depuis la réforme chômage d’octobre 2014 et la mise en place du principe des droits rechargeables. Quand un contrat ouvre des droits au chômage, on vous calcule des droits, et si entre-temps vous trouvez un travail mieux rémunéré, peu importe : votre indemnisation reste celle calculée au départ jusqu’à épuisement de ces droits initiaux. Ce système d’indemnisation a encore été durci fin 2019. De ce fait, le système d’emploi précaire grâce auquel l’ESR fait semblant de continuer à fonctionner depuis plusieurs décennies atteint ses limites. Il va craquer face à l’appauvrissement aggravé des enseignant·e·s et chercheur·se·s précaires. Il n’est plus soutenable ni pour les précarisé·e·s, ni pour celles et ceux qui les emploient et travaillent avec elles·eux. Car à un moment, il faut bien le reconnaître, il faudrait être fou pour rester dans ce système : période de précarité qui s’allonge, sans aucune garantie d’obtention d’un poste au bout (et même plutôt, inversement, avec la forte probabilité d’avoir « tenu » pour rien), salaire en début de carrière peu attractif et retraite de misère en perspective. Cet état d’esprit s’est installé ces dernières années et le vivier de main d’oeuvre précaire est en train de se tarir.
Alors défendre le statut d’enseignant·e·-chercheur·se·s, soit, mais encore faudrait-il que des postes soient ouverts ! Nous nous heurtons à un mur : échapper à la LPPR ne changera rien à une situation déjà catastrophique si nous ne nous battons pas collectivement pour un plan de titularisation massif, pour les BIATSS comme pour les docteur·e·s sans poste. Tout cela pour vous dire que les précaires ne mettront pas d’énergie dans cette bataille pour sauver le statut d’enseignant·e-chercheur·se si ce combat ne s’accompagne pas d’une revendication forte de création de postes. Sauver la fonction publique dans l’ESR implique non seulement de défendre ses statuts mais aussi d’exiger un recrutement massif de personnel BIATSS, enseignant et de recherche à la hauteur des besoins. À défaut, le recours croissant à la contractualisation signifie la mise en extinction de la fonction publique. Les trop nombreux·ses collègues BIATSS déjà cantonné·e·s dans un statut de contractuel, avec des niveaux de salaire trop bas et des perspectives de « carrière » très dégradées, subissent des conditions de travail et d’emploi aussi mauvaises que celle des précaires d’enseignement et de recherche : certain·e·s sont obligé·e·s de cumuler plusieurs emplois et d’avoir recours à l’aide sociale. Il faut prendre en compte l’ensemble de ce panorama à l’Université et comprendre que la situation difficile des personnels BIATSS (services en sous-effectifs, précarité, souffrance au travail, désorganisation des services, plan de transformation de la fonction publique qui précarise toujours plus) va de pair avec la situation des enseignant·e·s précaires (comment par exemple traiter correctement le flux incessant de dossiers de vacataires tous les semestres dans ces conditions?).
La mobilisation doit donc être plus large : sauver l’université ! Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Il faut VRAIMENT faire la grève. Cela permet de dégager du temps pour souffler – ce qui fait beaucoup de bien ! -, cela permet de rompre le rythme infernal qui veut que l’on continue nos activités à tout prix pour sauvegarder les apparences et cela permet de dégager du temps pour se mobiliser. Être en grève signifie arrêter toutes ses activités. Les titulaires qui n’arrêtent pas vraiment freinent la grève des personnels BIATSS, des doctorant·e·s et docteur·e·s, qui peuvent dès lors difficilement arrêter de répondre à leurs demandes (tâches administratives, articles à rendre, etc.) ! Nous sommes ravi·e·s que vous vous préoccupiez de ne pas nous pénaliser, mais nous sommes déjà pénalisé·e·s dans la mesure où nous n’aurons pas de postes. Nous vous serions reconnaissant·e·s de vous mettre vraiment en grève.
Le discours selon lequel « il ne faut pas pénaliser les étudiant·e·s » a également ses limites. Nous n’avons pas non plus envie de les pénaliser, mais ils·elles sont déjà pénalisé·e·s : n’oublions pas la précarité étudiante. Faut-il rappeler la récente immolation d’un étudiant à Lyon ? Ils·elles sont déjà pénalisé·e·s quand on les entasse à plus de quarante dans les TD, quand on met face à elles·eux en licence une grand nombre d’enseignant·e·s qui sont elles·eux-mêmes en souffrance. Ils·elles sont déjà pénalisé·e·s quand on leur ferme l’entrée à l’université par la sélection sociale Parcoursup et la discrimination raciste des frais d’inscription augmentés pour les étudiant·e·s étranger·e·s. Concernant le mode d’action qu’est la rétention des notes : depuis plusieurs années, il y a eu des rétentions des notes répétées à Paris I, portées par les doctorant·e·s de plusieurs disciplines qui sont allé·e·s discuter avec les étudiant·e·s et les collègues BIATSS pour expliquer la situation et les raisons de leur mobilisation. Les étudiant·e·s et les collègues comprennent tout à fait que nous nous mobilisions contre notre précarisation, dans la mesure où nombre d’entre elles·eux subissent également la précarité.
C’est en continuant de faire tourner la machine à n’importe quel prix que nous sommes tou·te·s lésé·e·s, bien plus qu’en nous mobilisant légitimement pour défendre nos conditions de travail, d’emploi et l’avenir de l’ESR !
Une partie de nos disciplines disparaît, une partie de nos savoirs va disparaître. Soyons fier·e·s de notre héritage universitaire et défendons-le : nos savoirs sont précieux et ce n’est pas l’enseignement supérieur privé qui en assurera la transmission et la vigueur. Nous nous heurtons, plus généralement, à un projet de société qu’il faut combattre : laisserons-nous disparaître ces conquêtes sociales fondamentales que sont la Sécurité sociale (dont le système de retraite le plus protecteur d’Europe), les services publics et la fonction publique? Il faut défendre une université libre, ouverte et émancipatrice.
La victoire est possible, mais pour cela il faut faire front commun avec les docteur·e·s sans postes, doctorant·e·s, collègues BIATSS et les étudiant·e·s, c’est-à-dire élaborer des revendications qui prennent en compte l’ensemble de nos situations ! Si vous voulez que les précaires et les étudiant·e·s soient dans la bataille, il vous faut prendre en compte l’urgence d’un plan massif de recrutement pour les BIATSS et les docteur·e·s sans poste ainsi que lutter contre la précarité étudiante.
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