Dans la lignée de la mobilisation des étudiant·es d’AgroParisTech, un collectif d’étudiant·es et de personnels de l’université Paris-Saclay a interpellé la présidente de l’université à l’occasion de la Week of Innovative Regions in Europe, le mercredi 11 mai 2022. L’événement WIRE est symptomatique de la vision néolibérale de la recherche, confondue pour l’occasion avec l’innovation. Elle ne correspond pas à une remise en question de nos modes de productions et de consommations qui nous ont conduits dans l’impasse que dénonce avec force le GIEC, mais en accentue au contraire les tendances mortifères. Nous reproduisons ici, à la demande du collectif, le texte qui a été lu. Il est une réponse à une tribune que Sylvie Retailleau a signé dans l’entre-deux tours appelant à soutenir sans réserve ni nuance le candidat Macron, présenté comme le tenant de « l’espoir et de l’ambition ». 

Mme Retailleau, nous, étudiant·es, personnels administratifs, techniques, de recherche et d’enseignement de l’UPS souhaitions répondre a la tribune que vous avez signée comme présidente de l’Université Paris-Saclay, appelant à soutenir sans réserve et sans nuance le candidat Emmanuel Macron.

Nous nous opposons au projet des classes dominantes, relayé par un président dont le quinquennat, marqué par des mesures de casse sociale ainsi que par la banalisation d’un langage fascisant, a grandement contribué à la montée de l’extrême droite.

Face à ce dernier, qui annonce encore vouloir retirer les droits civiques à toute personne qui s’en prendrait aux « dépositaires de l’autorité publique », nous sommes déterminé·es à défendre une société juste, ouverte, et égalitaire, à même de faire réellement corps face aux enjeux d’aujourd’hui.

Vous parlez de la transition écologique comme d’un grand défi de notre temps, vous, présidente de l’université Paris-Saclay, qui a bâti son campus sur une immense terre agricole de l’île de France, parmi les terres les plus fertiles du pays, dans le seul but de regrouper artificiellement des grandes écoles et facultés afin de viser un rayonnement factice à l’international.
Le GIEC nous donne trois ans pour inverser la tendance des émissions de gaz à effet de serre. Qui peut croire qu’un président accusé à deux reprises d’inaction climatique sera à la hauteur des enjeux ?

Vous parlez de libertés académiques, mais qu’avez-vous fait, qu’avez-vous dit lorsque notre ministre de tutelle s’est perdue dans la chasse aux sorcières islamogauchistes ? Quand le président tente de retirer le processus de qualification des enseignant·es-chercheur·ses des prérogatives du Conseil National des Universités ?  Et que dire de la politique du gouvernement dons ces cinq dernières années, « innovants » et « disruptifs », tant elle repose sur de vieilles recettes éculées, celles-là même qui nous ont mené·es dans l’impasse, un cocktail détonnant de baisses d’impôts, d’affaiblissement des services publics, d’accentuation de la fracture sociale, et de mesures discriminatoires et liberticides ?

L’avenir du président Macron ressemble fort au passé de messieurs Sarkozy et Hollande. Nous savons ce que cachent ces discours « méritocratiques » sur les potentialités et la réussite : ils visent surtout à dissimuler la reproduction des inégalités sociales. L’égalité des chances n’est qu’un mot, surtout dans ce système à deux vitesses, dont la récente Loi de Programmation de la Recherche que vous avez relayée va amplifier la dynamique de divergence, entre quelques institutions « d’excellence » accaparant la majeure partie des fonds et des universités de secteurs, qui s’arrêteraient idéalement à la fin de la licence, surtout destinées à la grande masse des étudiant·es devant alimenter les bassins d’emplois locaux en travailleur·ses corvéables à souhait.

Nous sommes évidemment pour la circulation des étudiant·es, des chercheur·ses et des professeur·ses. Comment comprendre alors votre absence de critique du plan Bienvenue en France, mesure cynique et raciste, qui ferme les portes de l’enseignement supérieur français à des milliers d’étudiant·es sur le pire critère qui soit, la fortune personnelle ? En contradiction frontale avec vos prétendus principes humanistes, universalistes, d’ouverture maximale, il semble bien qu’il y a nos étudiant·es, et les autres. 

Que dire de la précarité étudiante qui invalide d’emblée tout pseudo-discours sur l’égalité des chances, précarité amplifiée par la baisse des APL décidée par le gouvernement ? De la réforme du lycée et du baccalauréat, qui accroit encore les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, et contribue à fermer toujours plus nos universités ?

Plutôt qu’une France et une Europe de la connaissance, nous voulons un monde de la connaissance, et pour cela, un savoir critique, notamment de la position occidentale hégémonique de la connaissance, héritière de l’impérialisme et du colonialisme. Plutôt que continuer sur la logique d’une recherche par appel à projets, rappelons que l’enseignement supérieur français ne souffre pas d’un problème d’attractivité. Nos établissements souffrent d’un sous-financement chronique, au détriment des salaires de tou·tes les travailleur·ses de l’université et des conditions d’étude et de travail des étudiant·es.

Alors même que chaque année, ce sont 6 milliards d’argent public versés au secteur privé sous forme de Crédit Impôt Recherche, dont on cherchera en vain les effets concrets sur la recherche privée.

Plutôt que d’innovation, nous vous opposons le terme de progrès social, qui entre en contradiction avec l’utopie mortifère de la croissance économique infinie alimentée par des vagues de destructions créatrices révélant un solutionnisme technologique borné, et hors-sol.

Plutôt que la compétitivité, rappelons les vertus de la coopération scientifique, sans laquelle la crise sanitaire aurait débouchée sur une situation encore plus catastrophique. Il nous faudra alors parler à nouveau d’ajuster la production à nos besoins collectifs, et donc de la nécessaire correction des inégalités de niveaux de vie.

Pour rester sous 1,5°C de réchauffement en respectant la justice climatique, il faut que, d’ici 2030, le 1% le plus riche de la population mondiale divise ses émissions par trente ; les 50% les plus pauvres, par contre, pourront les multiplier par trois.

Face à la montée des idéologies nauséabondes qui nous ramènent aux heures les plus sombres du XXe siècle, défendons un programme de rupture, qui interroge de façon salutaire nos modes de production et de consommation. Saisissons-nous des moyens qui permettront à la jeunesse et aux étudiant·es d’espérer réellement.

A rebours de votre choix d’une ambition excluante, misons sur une France révolutionnaire : celle de 1789, de 1871, de l’engagement socialiste de Marie Curie, du MLF et des luttes antiracistes et antisexistes contemporaines. Si Athènes a bâti le Parthénon, nous avons démoli la Bastille.

Signalons également cette tribune d’étudiant·es des ENS qui s’inscrit dans un mouvement similaire.

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