Les revues en lutte ont inauguré leur parlement le 13 novembre 2020, en visio-conférence, afin d’entamer une réflexion commune sur leurs conditions de production et leur avenir. Elles se sont penchées sur les enjeux autour de l’édition scientifique, en voici le compte-rendu et le diaporama.
Nous reproduisons un extrait du compte-rendu ici :
Parlement des revues – première session
Vendredi 13 novembre 2020 –10h à 13h
Conformément à ce qui avait été décidé lors de la deuxième AG des revues en lutte (31 janvier 2020), le Parlement des revues s’est réuni pour une session inaugurale et enthousiaste. Cette session a réuni 45 à 50 participants. Elle a consisté en un rappel des dates marquantes du mouvement des Revues en Lutte, puis en un exposé tenu à trois voix sur l’essentiel à connaître des processus de production de revues scientifiques en France, enfin en une discussion autour des suites à donner à notre mouvement.Il a été convenu qu’une deuxième session se tiendrait la première semaine du mois de février 2021. Pour préparer cette session, le présent résumé des discussions et ses annexes sont à faire circuler dans les comités de rédaction des (actuellement) 158 revues en lutte, afin que ceux-ci prennent connaissance du cours des choses, éventuellement l’amendent et formulent de nouvelles orientations ou vœux pour la prochaine session. Sans attendre, nous avons convenu que la prochaine session aura pour thème : quelle(s)économie(s)des revues pour un service public de la revue scientifique ? Ce qui suit n’est qu’un modeste relevé des éléments-clefs de la session, ce ne sont pas des « minutes » qui auraient excédé la capacité de notre dévoué secrétariat.
[…]
Discussion plénière
Une discussion s’est engagée avec l’ensemble des participant.e.s en vue d’articuler les connaissances ainsi diffusées à une volonté politique commune. Cette discussion a été ouverte par des questions de cadrage indicatives :
- Nos revues sont-elles en lutte pour simplement affirmer le principe de la revue comme lieu primordial de circulation des savoirs et de débat scientifique?
- Nos revues sont-elles en lutte pour, parmi d’autres, servir d’appoint aux luttes plus générales en faveur d’un meilleur ESR?
- Nos revues sont-elles en lutte pour défendre le principe même de revues SHS et de leurs singularités, dans le sens de la « bibliodiversité» ou de l’appel de Jussieu : des revues avec comités délibérant, appréciations qualitatives, diversité des formats, des organisations, des supports, des diffuseurs, des modèles économiques…
- Nos revues sont-elles en lutte pour soutenir les éditeurs et éditrices des revues, en somme : les travailleurs et travailleuses des revues ?
Divers éléments ont été évoqués dans la discussion, nous les présentons ici de manière synthétique.
L’accès ouvert dit « institutionnel » que l’on pourrait aussi appeler : l’accès ouvert financé par la puissance publique, a été considéré comme la forme la plus satisfaisante de l’économie de nos revues. En effet, aujourd’hui, les deux voies majeures de diffusion de la revue reproduisent le principe de « schizophrénie » ou de «État deux fois payeur » ou de « État payeur jamais payé ». Sur Cairn en effet (société privée, qui accueille ces semaines-ci Gallimard et Flammarion à son capital), l’État subventionne, outre la production des contenus via les salaires des chercheur⋅ses et des responsables d’édition, l’abaissement de la barrière mobile (à un ou deux ans), mais les revenus ainsi générés vont pour une part dans la poche de Cairn, pour une part dans la poche des maisons d’édition, dont on a vu qu’elles sont rarement des maisons publiques. A moindre échelle, il en est de même sur Open Edition, puisque la formule Freemium est financée par des fonds publics. Qu’en serait-il si la puissance publique était le gestionnaire de ces plateformes de diffusion ?
Une proposition de constitution en personne morale des Revues en lutte est formulée afin de peser collectivement auprès des acteurs majeurs du domaine (Cairn et maisons d’édition). Également pour rencontrer les interlocuteurs du CNRS, qui est un acteur majeur des mouvements de normalisation en cours (Lionel Maurel, dir-adj InSHS pour l’information scientifique et technique). Afin de conquérir plus d’autonomie matérielle dans ces rapports de force, a aussi été évoquée la constitution d’une mutuelle de l’édition scientifique, voire d’une ou de coopératives d’édition.
La notion de mutualisation des postes d’éditeu⋅rice est également évoquée, avec la normalisation des postes à 2 ou 3 revues par personne, ce qui a pour effet délétère de produire des surcharges de travail, de réduire le métier à son versant quantitatif (mesuré en nombre de signes typographiques «corrigés-stylés-montés»annuels), d’invisibiliser en conséquence les fonctions d’amélioration des contenus, d’organisation des relations scientifiques autour des articles, deconstitution d’une mémoire des comités de rédaction, etc., d’éloigner les éditeurs et éditrices des comités de rédaction avec lesquels elles et ils devraient travailler en proximité afin de rendre possible la qualité scientifique des revues.
La place des revues dans le système actuel de l’ESR est également évoquée, avec un risque de voir les revues devenir les lieux majeurs de l’évaluation des textes et de classement des collègues, dès lors que la loi détricote les institutions d’évaluation telles que le CNU. Or les revues, si elles participent de fait à ces logiques de classement, de visibilisation, de compétition, veulent défendre leur vocation première d’être des lieux de défense de la diversité épistémologique et méthodologique, des lieux d’affirmation d’identités scientifiques diverses et parfois peu conciliables, des lieux d’élaboration de l’innovation et de la prise de risque –loin de la standardisation sur échelle unique des valeurs et des produits scientifiques.La nature des licences sous lesquelles nous publions nos articles doit également faire l’objet d’une vigilance collective (notamment à l’égard des licences CC-BY, qui sont les licences les plus souples qui soient : l’article peut être acquis gratuitement, en tout modifiable, avec pour seule exigence de « créditer » le texte ou l’œuvre).
Présentation d’un projet d’enquête collective en psycho-dynamique du travail menée auprès des professionnels de l’édition scientifique
À la mi-septembre sur les listes mail [tlm] et [revues_en_lutte], puis le 6 novembre sur la liste du réseau Médici (réseau, interdisciplinaire et inter-organismes, qui réunit la communauté française des professionnels de l’édition scientifique publique), enfin lors du Parlement des revues#1 le 13 novembre dernier, un appel à manifestation d’intérêt pour la création d’un groupe d’échanges informels et de réflexion collégiale sur les conditions de la mise en place d’une politique de science ouverte au sein de différentes structures d’édition et les modalités de son accueil dans le respect des pratiques éditoriales professionnelles, a été lancé.
Une petite équipe a émergé depuis –cet appel est toujours ouvert – dont la volonté consiste à faire fructifier les réflexions collectives sur notre métier dans un contexte qui se complexifie et à mettre à plat un certain nombre de questionnements relatifs à l’organisation du travail dans l’édition scientifique et à la santé des professionnels du secteur.
Cette envie a commencé à se concrétiser par l’organisation d’une enquête en psycho-dynamique du travail impliquant une série d’entretiens collectifs ouverts à toutes les personnes du métier désireuses de participer. Celle-ci sera conduite par Stéphane Le Lay, sociologue du travail à l’Institut de psychodynamique du travail, ancien secrétaire de rédaction au CNRS, assisté par un-e collègue de l’IPDT.
Un des objectifs de cette enquête est de proposer aux professionnels des métiers de l’édition scientifique un espace pour chercher collectivement à comprendre les enjeux subjectifs des activités réalisées au quotidien. Quelle est leur place au sein de l’organisation du travail scientifique actuelle ? De quelle reconnaissance bénéficient-elles (ou pas) ? Quels impacts ont-elles sur la santé physique et mentale des professionnels ? Cette enquête constituera sans aucun doute une des réponses à la discussion qui a émergée au sein du réseau Médici en juin dernier sur les conditions de recrutement et de travail de nombreux professionnels de l’édition scientifique.
Nous proposons à toutes celles et ceux qui veulent rejoindre notre groupe ou bien qui souhaitent simplement recueillir des informations sur cette enquête, laquelle sera officiellement annoncée dans quelques jours aux adhérents de la liste Médici,d’écrire à : info_enquete_edition [at] framalistes.org. Une date butoir pour s’inscrire et participer à l’enquête a été fixée au 23 décembre.
Motion commune
A l’issue du Parlement, sur la liste des Revues en lutte, une proposition de motion commune a été faite, et adoptée par plusieurs revues depuis, qui ont décidé d’en faire un chapeau sur leur page web (en retenant, ou non, le dernier paragraphe):
«La LPR, votée par l’Assemblée nationale et le Sénat (alors mêmeque le gouvernement ne dispose pas d’une majorité à la Chambre haute), en dépit des avis du Conseil économique et social et du Haut Conseil pour l’égalité, modifie profondément les institutions de la recherche et de l’enseignement supérieur dans le sens d’une plus grande subordination de celle-ci et de ses instances au pouvoir politique en la dépouillant de son indépendance.
Le Parlement des 158revues dénonce cette loi, souligne l’absence de concertation et la brutalité des moyens employée par le gouvernement dans le processus d’adoption de cette loi (procédure accélérée pendant les confinements du printemps et de l’automne), appelle les futur.es candidat.es aux élections républicaines à venir à s’engager dans une voie de concertation avec l’ESR afin de réécrire une loi qui soit profitable à tous/toutes et dégage la recherche et l’enseignement supérieur des pièges délétères de l’hypercompétition à laquelle les condamne l’actuelle loi.
En ce sens de sauvegarde des principes républicains, il déclare s’opposer aux dispositions néfastes aux libertés fondamentales contenues dans le projet de loi Sécurité Globale qui font écho aux restrictions des libertés dans le champ académique.»