L’hiver 2019-2020 a été marqué par de nombreuses luttes sociales, toutes centrées autour de la perte de nos acquis sociaux et de la dégradation de notre service public. L’hôpital public et l’université sont toutes deux menacées et les problématiques qu’elles connaissent sont communes : coupes budgétaires, non-renouvellement de postes, privatisation et mise en concurrence. Par ailleurs, l’hôpital public est fortement lié à l’université : étudiant·es, enseignant·es, recherche. Poussé·es par la certitude que le combat passe par la convergence des luttes, nous nous rapprochons début mars du mouvement universitaire, participons aux journées des Facs et Labos en Lutte et, suivant l’exemple d’Université Ouverte, nous créons notre collectif au début du mois de mars, avec pour fer de lance la défense de l’hôpital public : Hôpital Ouvert est né.
A la mi-avril, dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons tou·tes, le gouvernement annonce aux soignant·es des « primes COVID ». Loin de nous réjouir, ces primes nous choquent et nous humilient. Nous nous y opposons et refusons tout ce qu’elles représentent.

Ces derniers temps, le monde hospitalier a connu deux mobilisations notables, en réponse à deux crises différentes.
La première mobilisation a fait face à une crise structurelle et elle dure depuis des années. À travers la constitution de collectifs, de nombreuses grèves, et des démissions administratives, le personnel hospitalier était unanime : les politiques d’austérité mises en place par les gouvernements successifs mettent l’hôpital en danger. Des moyens, humains et financiers étaient sollicités mais le gouvernement faisait la sourde oreille et réprimait nos manifestations. Les travailleur·ses de la santé, eux, palliaient les manquements de l’État pour que les patient·es n’en fassent pas les frais.
La deuxième mobilisation fait face à une crise sanitaire et dure depuis plus de deux mois. Pour affronter la pandémie du Coronavirus, le monde hospitalier s’est réorganisé, renforcé, et nous avons tou·tes, directement ou indirectement, agi avec la population afin que les victimes soient les moins nombreuses possible. Pendant que le gouvernement et les instances dirigeantes administratives étaient débordées par la situation, les services se sont très rapidement transformés et adaptés localement et spontanément. Cependant, bien nombreux·ses ont été les acteur·trices de soins à avoir souffert du manque de réactivité du gouvernement pour soutenir sa population et ses hôpitaux, cette fois en condition d’urgence.
Le 15 avril, Édouard Philippe annonce une prime exceptionnelle pour les soignant·es mobilisé·es dans cette crise sanitaire.
Cette annonce ne nous réjouit pas. Au contraire, elle nous offense et nous scandalise.
Il s’agit d’une prime ponctuelle de 1500 euros pour les mieux loti·es, de 500 euros pour celles et ceux “qui n’ont pas eu la « chance” d’être “au front” contre le Covid-19. Et que se passera-t-il après le mois de mai ? Cette prime est une réponse ponctuelle à la crise sanitaire et permet au gouvernement d’occulter la nécessité de répondre à la crise structurelle que connaît notre Hôpital. Après le mois de mai, donc, retour à la situation antérieure, c’est-à-dire à une situation critique.
Par ailleurs, nous, soignant·es de l’hôpital public, nous sommes des fonctionnaires d’État, et à ce titre, travaillons à une mission de service public, en l’occurrence le soin. Notre mission est indépendante de la charge de travail, physique ou psychologique qu’elle implique. Aussi, notre actuelle mobilisation n’a rien d’héroïque, elle fait partie intégrante de notre engagement professionnel. Nous ne la menons pas par motivation financière, mais par engagement social et humain. Vouloir y répondre par une gratification monétaire est un affront que nous fait le gouvernement.
La tendance est à l’héroïsation des travailleur·ses de la santé. Et cette prime va dans ce sens. Héroïser de façon ponctuelle notre engagement, c’est finalement nier celui que nous apportons quotidiennement, indépendamment de cette crise sanitaire, pour pallier la crise sociale dont l’État est responsable.
“Au fond, nous savons ce que nous leur devons”, nous dit Édouard Philippe. Ce que le gouvernement doit à son peuple et à son hôpital public, ce n’est pas une prime exceptionnelle. C’est le respect de l’humain, des valeurs sociales sur lesquelles est fondé le service public, et par là, c’est une revalorisation globale, financière et humaine de l’hôpital, la même que nous demandons depuis des mois. Gratifier financièrement les soignant·es, les récompenser, c’est, de la part du gouvernement, se donner le beau rôle. Une position trop facile après nous avoir ignoré·es et humilié·es lorsque nous nous battions pour notre hôpital.
Bien sûr, l’annonce de cette prime a pu être vécue positivement par les plus précaires d’entre nous, ceux et celles pour qui cette somme représentait une bouffée d’oxygène. Cela révèle à quel point leur salaire habituel est insuffisant et renforce l’idée selon laquelle le besoin n’est pas à une gratification ponctuelle mais à une revalorisation durable, en l’occurrence, des salaires hospitaliers les plus bas. Ne nous méprenons pas, la honte n’est en aucun cas à celles et ceux qui accepteraient ces primes, mais à ce gouvernement qui ose la proposer comme réponse unique à une précarisation progressive de l’hôpital public et de ses travailleur·ses.
Pour finir, nous considérons, dans ce contexte difficile, avoir la chance de conserver nos revenus, quand d’autres souffrent des conséquences financières dues aux stratégies de confinement : chômage et licenciement pour certain·es salarié·es, absence de revenus pour les indépendant·es. La précarité explose ces derniers mois, et nous pensons que ces primes aux soignant·es, qui n’ont de but que la gratification, devraient bénéficier aux plus démuni·es de notre population, celles et ceux qui souffrent des dommages collatéraux de cette épidémie.
Pour toutes ces raisons, nous sommes opposé·es à ces primes, et refusons tout ce qu’elles représentent. Nous profitons de ce texte pour réitérer les revendications de revalorisations humaines et financières de l’hôpital public, indispensable à son bon fonctionnement et à la prise en charge de ses patient·es. Le temps n’est pas à la construction d’héros ou d’héroïnes mais au soin de la population, de ses précaires, et donc, aux services publics qui garantissent ce soin.
Collectif Hôpital Ouvert
Une première version de cette tribune a été publiée sur le blog Mediapart du collectif Hôpital Ouvert.

Illustration en une : le 29 février, devant l’Assemblée nationale. Alors que la crise du COVID se dessine, l’usage du 49.3 est utilisé pour la réforme des retraites et les protestations sont réprimées (photographe anonyme).
Un commentaire sur « COVID : la colère en prime – opposition des soignant·es aux primes COVID »